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Avenir du textile marocain: 4 questions à Fatima-Zohra Alaoui

Casablanca- Dans une interview accordée à la MAP, la Directrice générale de l’Association Marocaine des Industries du Textile et de l’Habillement (AMITH), Fatima-Zohra Alaoui, analyse les récentes tendances du secteur du textile marocain, qui ne cesse de plonger dans l’incertitude comme conséquence de la crise covidienne.

Dans cet entretien, Mme Alaoui présente les nouveaux leviers de croissance de ce secteur exportateur de l’économie nationale et grand pourvoyeur d’emplois, et dresse les pistes à même de promouvoir une offre locale qui répond aux attentes du consommateur marocain.

1- A en croire la récente note de la Direction des études et des prévisions financières, le secteur du textile a enregistré, à partir du mois de juin, une tendance corrective (un reflux de 2% au T3 après -46,7% au T2)? Comment expliquez-vous cette évolution ?

La Covid-19 a touché indifféremment tous les pays du monde, donnant lieu à une crise sanitaire et économique dont personne n’est en mesure, encore aujourd’hui, d’estimer l’ampleur. L’industrie textile marocaine étant fortement intégrée à l’industrie mondiale, l’impact de la crise s’est très rapidement fait ressentir dans notre secteur avec l’arrêt brutal des commandes et la suspension des paiements de nos clients étrangers. Une grande majorité de nos entreprises se sont retrouvées en arrêt quasi-total dès la fin du mois de mars et ce pour plusieurs mois.

Nos partenaires étrangers ayant, pour la plupart, entamé leur déconfinement courant mai, les commerces non essentiels ont réouvert, donnant lieu à une reprise des commandes à partir du mois de juin. Ainsi, après une baisse cumulée de près de 36% sur les 6 premiers mois de l’année, le secteur a pu retrouver son dynamisme à l’export à partir mois de juillet 2020 et ce jusqu’au mois d’octobre, ce qui a permis de ramener la contreperformance annuelle sur les 10 premiers mois de l’année à -18,7% comparativement à la même période en 2019.

Malheureusement, aux vues de la détérioration de la situation sanitaire en Europe, nos exportations ont réamorcé une tendance baissière à partir du mois de novembre, baisse chiffrée à 11% en comparaison avec novembre 2019. Les remontées terrain de nos membres indiquent que la baisse s’est poursuivie en décembre 2020 en raison de l’évolution de la pandémie en Europe. Les reconfinements annoncés par les pays partenaires et l’absence de visibilité quant à leur durée sont autant de facteurs qui rendent impossibles l’élaboration de projections sur les prochaines semaines voire mois à venir, c’est pourquoi l’inquiétude est vive aujourd’hui quant à l’impact de cette deuxième vague de confinement sur notre industrie.

2- Après plus d’une année de pandémie, le secteur est en quête d’une véritable relance, en tant qu’Association des professionnels du secteur, que recommanderiez-vous ?

La crise liée à la Covid-19 a catalysé des changements structurels dans le secteur du textile. Le diagnostic stratégique que l’AMITH a réalisé ces derniers mois a donné lieu à une nouvelle vision pour le secteur basée sur 4 leviers. Le premier porte sur le renforcement de l’agilité du secteur de par son adaptation aux choix des clients, ses capacités de prototypage et d’anticipation, ainsi que la qualité de ses services logistiques et le niveau élevé de ses compétences. Le second levier est lié à l’innovation avec l’introduction de la technologie dans le processus industriel, mais aussi la créativité et la digitalisation. En troisième lieu vient la durabilité, en proposant des solutions intégrant parfaitement les exigences des Objectifs de Développement Durable (ODD) et de l’économie faiblement carbonée. Enfin, le quatrième levier vise la consolidation de la qualité de l’offre en renforçant le niveau d’exigence en matière de technicité, traçabilité et de matières. Un plan d’action ambitieux a été élaboré, et plusieurs chantiers ont d’ores et déjà été amorcés.

Cependant, le principal défi aujourd’hui, pour l’AMITH et les entreprises du secteur, est de réussir à passer le cap de cette seconde vague de confinement en Europe, qui risque de porter gravement préjudice aux entreprises, et aux emplois de manière générale. En effet, après avoir fait preuve d’une résilience exemplaire depuis le début de la crise, les entreprises du secteur peinent aujourd’hui à réagir de manière adéquate à la baisse drastique de leur activité depuis novembre 2020, en raison de la détérioration de leurs bilans et de l’absence de visibilité quant à leur carnet de commandes. Les défis existants et les défaillances du marché font que ces entreprises ont besoin d’être soutenues pour préserver les potentialités humaines et techniques dont regorge le secteur, ainsi que l’héritage et le savoir-faire cumulés à travers les générations, afin d’assurer une reprise durable dès que le contexte mondial le permettra.

3- Comment le Maroc devrait se positionner pour développer une réelle industrie de la mode ?

La crise liée au Covid a confirmé que la sur-dépendance à un nombre restreint de marchés et à l’importation de la majorité de ses intrants rendait l’industrie textile marocaine plus vulnérable que ses concurrents face aux chocs exogènes. En parallèle, cette crise a clairement démontré la capacité de résilience et d’adaptation de l’industrie textile marocaine qui sait faire preuve d’agilité et d’innovation pour saisir les opportunités qui s’offrent à elle.

A ce titre, les changements majeurs qui s’annoncent dans le sourcing mondial sont favorables à la consolidation de l’industrie textile-habillement marocaine à travers une intégration renforcée, à la fois en amont avec une production locale plus importante, et plus écoresponsable, d’intrants, et en aval avec le renforcement des capacités créatives et de développement produit. L’industrie textile marocaine sera ainsi en mesure d’offrir un produit Made in Morocco intégré, répondant aux attentes des donneurs d’ordres étrangers en matière de sourcing de proximité, de créativité, de compétitivité prix, qui est encore fortement pénalisée par les règles d’origine imposées dans le cadre des ALE conclus par le Maroc, ou d’offre écoresponsable nécessitant une traçabilité tout au long de la chaine de valeur.

4- Quel avenir pour le Made in Morocco dans le secteur, les freins à son développement et à sa promotion, notamment auprès du consommateur marocain ?

Malgré la grande incertitude qui règne actuellement quant à l’évolution de la pandémie et son incidence sur la situation économique, que ce soit au Maroc ou à l’étranger, les industriels du textile-habillement ne perdent pas de vue le fait que cette crise a indiscutablement chamboulé la cartographie du sourcing mondial, ouvrant une nouvelle fenêtre d’opportunité pour l’offre textile marocaine. Les donneurs d’ordres étrangers affichent aujourd’hui une volonté claire de réduire leur dépendance au sourcing asiatique en faveur d’un approvisionnement de proximité offrant plus de flexibilité, de réactivité, et une meilleure gestion des stocks.

Sur le marché local, les mesures récemment mises en place pour soutenir l’industrie marocaine (amendement de l’ALE avec la Turquie, augmentation du droit commun sur les produits finis industriels, stratégie de substitution des importations, préférence nationale dans la commande publique) donneront la possibilité aux industriels marocains de reconquérir leur marché domestique jusque-là cannibalisé par les importations. Cela passera naturellement par une offre Made in Morocco intégrée avec un excellent rapport qualité-prix, soutenue par une campagne nationale et un label gage de qualité pour redonner confiance au consommateur marocain dans les capacités de l’industrie nationale qui est en capacité de satisfaire ses attentes en termes de qualité, de prix ou de Mode.

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