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CVM: 3 questions à l’économiste Abdelghani Youmni

Casablanca – Les chaînes de valeur mondiales ont vu leur modèle actuel remis en cause après avoir affiché tant de vulnérabilités et dysfonctionnements suite au déclenchement de la crise sanitaire actuelle. La reconfiguration de ces chaînes globalisées d’une manière à garantir la régularité et la sécurité des approvisionnements est au cœur des préoccupations des puissances économiques mondiales, offrant, ainsi, un réel gisement d’opportunités pour des pays comme le Maroc pour capter de nouveaux flux d’investissements.

Dans un entretien à la MAP, l’économiste et spécialiste des politiques publiques dans les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (PSEM), Abdelghani Youmni, analyse les profondes mutations des chaînes de valeur mondiales et les opportunités qui en découlent pour le Maroc.

1 – Les chaînes de valeurs mondiales ont connu de grandes perturbations dans le sillage de la crise sanitaire, comment expliquer vous une telle situation ?

Face à l’épidémie du COVID-19, les gouvernements des pays de l’OCDE ont définitivement intégré les niveaux élevés de leur vulnérabilité et de leur perte de souveraineté économique au profit de la Chine. La réponse ne peut être apportée qu’en abandonnant le capitalisme de rétribution des actionnaires et des prix bas pour un capitalisme social de répartition entre le capital, le travail et l’Etat. Nous devons abandonner les paradigmes de l’internationalisation de la production des années 1980 construits autour de chaînes de valeurs globalisées et fondées sur le concept de l’avantage comparatif hérité de David Ricardo et qui ont accouché d’une cascade de dumping monétaire, social et environnemental.

Une plongée plus en détail dans la crise sanitaire montre qu’elle remet en cause plusieurs certitudes :

– L’avantage comparatif au profit du low cost à propulser les chaînes de valeurs en contribuant à améliorer le pouvoir d’achat des consommateurs. Ce choix a causé la perte de territoires de souveraineté sur des enjeux de l’alimentation, de la santé, du textile, des équipements industriels.

– Le progrès technique et la technologie hissés à tort au rang d’ensemble de secrets par les pays développés pour faire barrière aux pays du Sud a été une grave erreur géopolitique et géoéconomique. Le transfert de technologie doit désormais intégrer dans son modèle les variables vieillissement accéléré des pays riches, le puissant dividende démographique des pays pauvres et l’inévitable pression migratoire.

– La crise a montré que contrairement aux croyances, ce sont les métiers les plus discriminés, les plus pénibles et les moins rémunérés qui sont les plus utiles à la société.

– Les chaînes de valeurs globales presque toujours oligopolistiques sont de puissants accélérateurs des changements climatiques et que pour résorber leur néfaste empreinte environnementale, il va falloir décarboner progressivement nos productions et nos modes de consommation.

2- Quelles sont les opportunités et les menaces pour le Maroc en matière de repositionnement sur les chaînes de valeurs mondiales d’après Covid ?

Avant de répondre à cette question hautement stratégique et certainement centrée sur la régionalisation industrielle dans l’espace euro-méditerranéen, deux questions tout aussi centrales s’imposent. La première est que pour réindustrialiser l’Europe, ses entreprises sont–elles prêtes à se priver des gigantesques profits supérieurs et des montagnes de capitalisations boursières qu’offrent les chaînes de valeurs mondiales ? La deuxième, les consommateurs de ces pays accepteront-ils de se passer des prix compétitifs occasionnés par les coûts de production dans les pays low cost ?

A cause des coûts de production élevés, la réinternalisation de l’ensemble des chaînes de valeur en Europe me semble utopique mais une colocalisation vers les pays du voisinage de l’Est et du Sud de la méditerranée pourrait être une opportunité pour le Maroc, hub entre l’Afrique et l’Europe, fort d’une position géostratégique privilégiée, à seulement 14 km de l’Europe.

Il y’a plusieurs opportunités, elles sont surtout industrielles et centrées sur les nouveaux métiers du Maroc comme la sous-traitance dans l’électronique, l’aéronautique et dans l’automobile thermique et électrique, comme dans le textile, les produits pharmaceutique et le numérique. Il s’agit également d’autres secteurs où les entreprises marocaines se sont démarquées au niveau africain comme les travaux publics, les énergies renouvelables, l’agroalimentaire, les télécommunications, l’immobilier et la banque.

Pourtant et malgré ses nombreux atouts et son classement au 3 ème rang en doing business au niveau de la région MENA, de nombreuses menaces réelles existent et il va falloir les inclure dans les stratégies d’intelligence économique globale du Royaume. Elles concernent les fortes concurrences régionales sur certains métiers dont les plus féroces sont celles des pays de l’Europe centrale et orientale, de la Turquie et de l’Egypte.

3- Quels sont les prérequis pour capter de nouveaux flux d’investissements ? Et comment peut-on capitaliser sur les écosystèmes préexistants au Maroc pour consolider notre statut de hub industriel ?

Le Maroc dispose d’un statut avancé avec l’Union européenne et a toujours réaffirmé sa position d’acteur des relations euro-méditerranéennes et de médiateur dans les relations d’un voisinage élargi avec l’Afrique Sub-saharienne. Ce prérequis est majeur et il n’est pas le seul, le pays a entrepris des réformes majeures tant politiques qu’économiques et sectorielles au niveau des finances publiques, le commerce extérieur, le marché du travail du cadre réglementaire du climat des affaires, de la compensation et puis du marché de change.

Le plan d’accélération industrielle PAI lancé de 2014-2020 a atteint selon les données officielles 80% de ses objectifs en terme de création d’emplois. Cette multiplication d’écosystèmes de résilience industrielle doit être en parfaite synergie avec les politiques d’enseignement supérieur et professionnel au regard de la faible proportion des étudiants qui disposent d’une formation qualifiante et d’un métier.

Le pays a besoin de volontarisme en matière de politiques publiques courageuses et visionnaires en matière d’éducation et d’enseignement, mais aussi de formation professionnelles axées sur les métiers de la transformation et des politiques industrielles tirées par les exportations et aussi orientées vers la substitution d’importations ce qui contribuera à l’amélioration de la courbe d’apprentissage et des économies d’échelle.

Au vu de toutes les questions à trancher, le monde d’après covid-19 nécessitera aussi pour le Maroc d’accélérer le processus de la régionalisation et réussir la cohésion de ces territoires car sa superficie ergonomique et ses deux façades maritimes sont des atouts uniques au niveau régional.

Il est question aussi de construire des clusters sectoriels incluant universitaires, ingénieurs et élus de régions, poursuivre l’attraction des IDE en les conditionnant de protocoles de partenariats public-privé productifs, dont le pays est le leader au niveau de la méditerranée avec plus de 240.000 créations d’emplois dans les seuls secteurs de l’automobile de l’aéronautique et dans la logistique portuaire.

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