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Entretien avec le président de la FIMME, Tarik Aitri

Casablanca – Le président de la Fédération des industries métallurgiques, mécaniques et électroniques (FIMME), Tarik Aitri, analyse, dans un entretien à la MAP, la situation de ce secteur et aborde les moyens à même de le relancer.

– Quel bilan faites-vous de l’impact de la crise liée au Covid-19 sur le secteur des IMME au Maroc ?

L’année 2020 aura été éprouvante pour la grande majorité d’entre nous. La pandémie mondiale du nouveau coronavirus (covid-19) est venue perturber bien des aspects de nos vies, et le secteur des IMME, comme tant d’autres, a connu des bouleversements sans précédent. L’année 2021 n’a malheureusement pas débuté sous les meilleurs auspices. Nous avons assisté à un regain de la pandémie dans bien des pays, avec de nouveaux variants du virus détectés ici et là.

Nous continuons donc à nous heurter à de nombreux impondérables, rendant laborieux le maintien à flot de nombreuses activités, et plongeant les entreprises et leurs salariés dans une angoisse profonde, légitimée par l’incertitude la plus totale pour leur futur.

La crise liée au Covid-19 a eu des impacts majeurs sur notre secteur. La quasi-totalité de nos filières ont connu une très forte récession et tournent au ralenti, et certaines branches d’activité sont aujourd’hui carrément au bord de l’asphyxie, si bien que leur survie n’est malheureusement pas garantie. Des centaines d’emplois ont été perdus, alors que beaucoup d’autres continuent d’être menacés aujourd’hui.

Le constat est simple. La conjonction de plusieurs facteurs explique cet état de fait, parmi lesquels :

– La baisse de la demande locale et l’absence ou la diminution substantielle de commandes provenant des clients internationaux;

– Le manque ou l’absence d’offres, dû à une rupture ou une baisse de l’approvisionnement;

– La suspension des importations;

– L’arrêt de l’export;

– L’absence d’une visibilité claire quant à une reprise d’activité normale;

Il faut rappeler que les IMME sont au cœur de plusieurs autres secteurs et constituent le socle de leur développement. Cette transversalité qui, à la base, constitue un atout de taille, fait que l’on se retrouve, paradoxalement, dans une situation extrêmement inconfortable dès lors que d’autres pans de l’industrie sont en crise.

En effet, l’ampleur des dommages dépendra, certes, de la durée de la crise, mais également de la gravité des répercussions que subiront certaines branches d’activité et, par effet induit, les IMME également.

– Quelles sont les pistes de relance de ce secteur ? Comment la FIMME a agi pour accompagner et soutenir les professionnels afin d’amorcer cette relance ?

La détermination et la réactivité du gouvernement, qu’il faut saluer, ainsi que celles de l’ensemble des acteurs des IMME pour tenter de faire face à cette crise ont été, incontestablement, clairement affichées.

En effet, dans ce contexte totalement inédit, nous avons pris la mesure de la gravité de la pandémie actuelle et de ses répercussions inéluctables sur les activités de nos entreprises en général. La volonté commune d’une relance progressive a donc été rapidement matérialisée par la mise en œuvre d’actions responsables, pragmatiques, concrètes et adaptées au mieux à la situation qui prévaut aujourd’hui.

Le contexte actuel nous oblige à rester prudents, car nous sommes toujours confrontés à de nombreuses incertitudes. L’inconstance de la conjoncture tant locale qu’internationale, dictée par cette pandémie, rend difficile la prise de décisions. En effet, elle sème le doute quant aux solutions à envisager et, surtout, au timing pour les mettre en place.

Dès lors, il me parait absolument crucial de tenter de résister autant que possible et de faire preuve de résilience pendant cette phase, très compliquée, de préparation de la sortie de crise.

Sur ce volet précisément, la résilience extraordinaire dont a fait preuve jusque là une majorité d’opérateurs contribuera largement à une évolution constructive de la situation, pour relever les défis cruciaux auxquels nous sommes tous confrontés, atténuer autant que possible l’impact de la crise et en amortir les conséquences induites.

Cette résilience nous permet aussi de trouver des schémas appropriés pour préparer très rapidement l’après-crise. Une des solutions possibles consisterait à être à l’écoute des besoins émergents et de savoir y répondre efficacement, pour toujours être en phase avec notre micro-environnement.

Cela nous impose de nous renouveler pour tenter de déployer un modèle de croissance durable et, de fait, un gage de pérennité pour nos entreprises. De toute évidence, un nouveau “business model” industriel planétaire est en train de voir le jour. Il est par conséquent essentiel, pour nos entreprises, de s’intégrer dans cette nouvelle configuration qui s’annonce. Cela pourrait passer par une réorientation stratégique profonde, voire une reconversion de leurs activités.

Parmi les solutions envisagées qui pourraient également être mises en place dans le schéma décrit, j’encourage les chefs d’entreprises du secteur, qui le peuvent, à œuvrer pour tenter de capter, sans attendre, de nouvelles parts de marché en Europe et aux États-Unis (USA) par exemple, ou dans d’autres pays qui sont également en train de chercher des alternatives à la Chine, entre autres. Certaines crises permettent parfois de créer des occasions qu’il faut saisir très rapidement.

Pour l’heure, l’enjeu essentiel réside dans notre participation collective et solidaire à relancer un système industriel globalement grippé et à gagner, in fine, le difficile pari d’un retour graduel, mais aussi rapide que possible, à une situation normale.

– Comment la promotion du “Made in Morocco” pourrait-elle bénéficier aux opérateurs des IMME ?

De nombreuses industries jouent un rôle central dans le développement du Maroc. Grâce à leur dynamisme, à leur richesse et à la diversité des activités et métiers, leur contribution est fondamentale à plus d’un titre, et il est important de capitaliser d’abord sur les multiples atouts qu’elles comptent.

Concernant notre secteur, il est considéré comme étant crucial dans le développement de la chaîne de valeur industrielle. En effet, les IMME se positionnent en tant que fournisseur et sous-traitant incontournables de bon nombre de marchés applicatifs et interviennent dans le cadre des programmes structurants du pays. Il est composé de plusieurs branches dans lesquelles le royaume a des atouts précieux.

Afin de les faire valoir et tirer pleinement profit des potentialités substantielles que recèlent les IMME dans notre pays, une production accrue du “Made in Morocco” est absolument nécessaire, puisqu’elle favorisera la consommation locale, permettra d’accroitre la création de richesse intérieure et accélérera la cadence de la ré-industrialisation.

C’est dans cette optique de relance industrielle que la FIMME, en partenariat stratégique avec le ministère de tutelle et en collaboration avec les opérateurs du secteur, a développé une vision globale, intégrant aussi bien le marché national que celui à l’export. L’ultime objectif visé consiste à créer de nouvelles perspectives pour l’ensemble de nos industriels, en vue d’asseoir une croissance pérenne.

Pour l’atteindre, nous avions impérativement besoin d’être portés par des stratégies ambitieuses, voire d’envergure nationale, au travers d’accompagnements appropriés et de moyens à la hauteur des ambitions affichées.

La dynamique de développement mise en œuvre pour soutenir la réforme escomptée nous permettra de consolider notre tissu industriel, de le moderniser et de développer notre capacité de substitution de produits importés.

Dans ce registre justement, nos attentes sont nombreuses. En voici quelques exemples :

– Inciter les grands groupes et donneurs d’ordres à entretenir une dynamique d’investissements ;

– Donner une impulsion à la relance, notamment par le biais de la commande publique, de grands projets de travaux et d’investissement et d’appels à projets innovants ;

– Continuer à entretenir un niveau d’investissement de l’Etat pour contribuer à relancer l’industrie ;

– Privilégier les entreprises locales performantes dans le cadre des marchés publics.

J’invite enfin nos opérateurs à faire preuve de ce que j’appellerais “patriotisme économique”, en soutenant au maximum nos unités locales, qu’elles soient industrielles, commerciales ou de services, dans un esprit collectif et solidaire.

– Quels sont selon vous les pré-requis pour que le secteur marocain des IMME renforce son positionnement à l’échelle internationale ?

Notre objectif pour les entreprises du secteur est de doter notre pays, à terme, d’une industrie nationale compétitive et pérenne, aussi bien sur le marché national qu’à l’échelle mondiale. Pour renforcer notre positionnement à l’étranger, le challenge est de taille et nécessitera la mise en place d’actions fortes.

Mise à niveau, promotion internationale et innovation, tels sont, à mon sens, les maitres mots pour relever le défi en question.

1/ Tout d’abord, une mise à niveau profonde du tissu productif s’impose et nécessite un déploiement d’efforts accru et continu, à tous les niveaux (trésorerie, ressources humaines, technologie, process, etc).

Globalement, notre plus grand challenge consiste à mettre en place des mesures pour améliorer, de manière permanente, la compétitivité de nos entreprises, dans leur grande diversité. Dans cette perspective, la FIMME, en partenariat avec le ministère de tutelle, a réfléchi sur la mise en place d’un certain nombre de mesures.

Parmi les propositions faites, nous citerons, sans être exhaustifs, quelques pistes:

– Encourager l’émergence d’industries de transformation de matières brutes pour créer une valeur ajoutée locale ;

– Consommer national (grands donneurs d’ordres), pour baisser les imports ;

– Équilibrer les relations avec les grands donneurs d’ordres ;

– Faciliter la possibilité d’accès aux marchés publics ;

– Créer des inspections pour le contrôle de l’application des normes au niveau de la production locale (les centres techniques jouent ce rôle à l’import et doivent le jouer également pour la production nationale) ;

– Trouver des mécanismes pour solutionner le problème de trésorerie des entreprises, qui grève la compétitivité ;

– Éliminer ou réduire la TVA sur les biens d’équipements achetés par les entreprises existantes pour le renouvellement du parc machines ou de son extension ;

– Simplifier le code du travail ;

– Alléger la fiscalité des entreprises ;

– Modifier le régime fiscal de l’IS, pour favoriser l’accroissement des fonds propres des PME par autofinancement ;

– Faciliter l’obtention des crédits ;

– Aider à pallier la problématique de sous-capitalisation des entreprises ;

– Revoir le coût de l’immobilier d’entreprise ;

– Utiliser les dispositifs d’aide à l’innovation (crédit d’impôt recherche, subventions, etc.), levier avéré pour doper la compétitivité et la croissance ;

– Renforcer des compétences managériales et opérationnelles ;

– Accroître l’offre exportable ;

– Développer des partenariats avec les universités.

– Renforcer les capacités financières de nos industries moyennant un accompagnement en adéquation avec leurs besoins réels ;

– Appuyer l’investissement productif générateur de valeur ajoutée et d’emplois ;

– Opter, autant que possible, pour la préférence de l’offre nationale.

2/ Concernant la promotion internationale, et au-delà même de la pandémie qui sévit encore aujourd’hui, les perspectives existent et nos ambitions actuelles restent inchangées, malgré le revers subi par de nombreuses filières.

La participation aux manifestations internationales, l’ouverture permanente sur le monde et l’organisation d’événements à portée mondiale contribuent, à n’en point douter, à renforcer notre positionnement en dehors des frontières.

A ce propos, notre fédération organise, du 18 au 20 mai prochain, la 12e édition du E-SISTEP, Salon international de la sous-traitance, de l’approvisionnement et du partenariat en format digital, compte tenu des circonstances sanitaires et des restrictions qu’elles imposent.

Malgré la crise actuelle, le E-SISTEP veut réaffirmer très fortement sa vocation : se positionner comme un événement stratégique incontournable dans la sphère industrielle internationale, valoriser le savoir-faire local pour promouvoir le made in/with Morocco, mettre en relation donneurs d’ordres étrangers et sous-traitants marocains et de développer des projets de coopération technologique et industrielle.

L’organisation de cet événement illustre, sans équivoque, cette ferme volonté qui est la nôtre d’être en phase avec la politique industrielle de notre pays, ouverte sur le monde. A travers ce carrefour d’échange et de partage des différents savoir-faire technologiques avec nos partenaires internationaux, nous aspirons à nouer, faciliter ou multiplier le partenariat entre les professionnels des industries marocaine et étrangère.

3/ Sur le volet de l’innovation enfin, nous avons toujours prôné, au sein de notre fédération, la R&D et, plus généralement, la capacité à faire preuve de créativité à tous les niveaux. Nous considérons, en effet, que c’est une condition indispensable de survie et de développement de notre industrie et un moyen efficace pour s’adapter à l’international.

Dans cette perspective, nous avons toujours insisté auprès de nos opérateurs pour ériger ce concept en axe stratégique de développement et l’inscrire comme un enjeu permanent.

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