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Handicap et RSE: 4 questions à l’universitaire Adil Cherkaoui

Casablanca,  Le professeur à la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales – Ain Chock (Université Hassan II de Casablanca) et consultant en RSE et management de la diversité en entreprise, Adil Cherkaoui, dresse, dans une interview à la MAP, l’état des lieux de l’inclusion professionnelle des personnes en situation de handicap au Maroc, avec un focus sur les entreprises engagées en matière de RSE.

1- Pouvez-vous nous dresser un état des lieux de l’employabilité et de l’intégration des personnes en situation de handicap au Maroc?

En termes de chiffres, le taux de personnes en situation de handicap au Maroc est de 6,8%, soit environ 2 millions de personnes, selon l’enquête nationale sur le handicap réalisée en 2014. 68% vivent en milieu urbain contre 41,5% en milieu rural ; 51,4% sont des femmes tandis que 48,6% sont des hommes, et 47,8% sont âgés de 60 ans et plus. Désormais, l’emploi des personnes en situation de handicap (PSH) au Maroc constitue un véritable enjeu de société. Il s’inscrit pleinement dans la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et participe à la qualité de vie au travail et à la performance des entreprises (diversité des équipes, productivité, image sociétale et réputation, bonne compréhension des besoins des clients…). La question est d’autant plus urgente et importante dans la mesure où les personnes en situation de handicap (PSH) sont davantage touchées par le chômage.

Les statistiques officielles font ressortir un taux de chômage des PSH quatre fois supérieur au taux national (Haut-Commissariat au Plan (HCP), ministère de la Solidarité, organisation OXFAM). D’ailleurs et selon le HCP, 51,3% des PSH se trouvent en âge d’activité (15 – 60 ans) soit 1.160.714 personnes. 27% seulement des PSH qui sont occupées (occasionnellement ou d’une manière permanente) dont seulement 11,2% des femmes, sachant que le taux national d’occupation est de près de 50% pour l’ensemble de la population marocaine (HCP, 2014). Sans oublier que les PSH qui se déclarent en chômage (c’est-à-dire à la recherche d’un emploi) sont de 24,6%, soit 285.809 personnes dont 38,1% sont des femmes.

Plusieurs problèmes sont généralement évoqués : le manque, voire l’absence des dispositifs d’accessibilité ; le déficit de formation et de qualification professionnelles, les exclusions et les discriminations entre autres à l’embauche, la mauvaise prise en charge institutionnelle, l’absence de couverture sociale…etc.

Les statistiques révèlent également que 12% seulement des personnes handicapées sans instruction sont actives, le taux brut d’activité se situe autour de 25% pour les personnes ayant les niveaux d’instruction préscolaire, fondamental I et II. Il passe à 39% pour les personnes handicapées ayant un niveau d’études secondaires et enfin, à plus de 53% pour celles de niveau supérieur. Cela confirme le rôle majeur de la formation qui conditionne l’employabilité des personnes en situation de handicap au Maroc. L’activité des PSH et leur niveau d’études sont parfaitement et positivement corrélés.

2 – Quel rôle du secteur public et des entreprises privées, notamment celles engagées en matière de RSE ?

Il faut rappeler que dans le secteur public, 7% de l’ensemble des postes budgétaires sont ouverts chaque année aux personnes en situation de handicap (PSH). Très récemment, le gouvernement a lancé des concours unifiés dans plusieurs secteurs ministériels afin de recruter les PSH (administrateurs de deuxième et de troisième grade, et des techniciens de troisième grade). Cela étant, l’inclusion professionnelle des PSH reste encore un parcours jalonné d’obstacles, parfois infranchissables. Entre autres, parce que les décrets d’application tardent à voir le jour. La loi-cadre relative à la protection et à la promotion des personnes en situation de handicap date de 2016, mais jusqu’à présent il n’y a toujours pas de décrets d’application.

Du côté du secteur privé, les entreprises font preuve de bonne volonté, mais ne sont pas épaulées par l’État pour insérer des personnes en situation de handicap dans le cadre de leur responsabilité sociétale (RSE). La confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) avait publié en 2017 un guide destiné aux entreprises labellisées pour les accompagner en matière d’inclusion professionnelle des PSH. La CGEM inscrit la question de l’inclusion professionnelle des PSH dans l’axe “respect des droits humains en entreprise” dans une perspective du management de la diversité. L’organisation patronale plaide, auprès de ses entreprises adhérentes, pour l’instauration d’une politique de diversité des ressources humaines afin de lutter contre les discriminations en entreprise et promouvoir l’égalité des chances et ce, selon trois axes majeurs : genre, multiculturel et handicap.

A ce sujet, nous avons réalisé une étude qualitative récente (2019) auprès de douze grandes entreprises labellisées RSE, publiée dans un ouvrage collectif “Handicap et espace” aux éditions UCA : Université Clermont Auvergne – Collection : Handicap et citoyenneté. L’étude fait ressortir un engagement timide des entreprises interviewées, se résumant souvent à des actions philanthropiques en fonction des opportunités qui se présentent et en s’associant avec des associations militantes à l’instar du sponsoring du Forum « HANDICAP et EMPLOI »; soutien financier de certaines formations destinées aux PSH … Malgré leurs bonnes volontés exprimées par des chartes de diversité & inclusion, très peu d’entreprises engagées en matière de RSE qui intègre des personnes en situation du handicap dans leur capital humain. Une telle difficulté est souvent perçue comme une discrimination à l’embauche.

3 – Quels sont les principaux facteurs expliquant cette faible représentativité des personnes en situation de handicap sur les lieux de travail?

L’étude menée auprès des entreprises engagées en matière de RSE fait ressortir la méconnaissance (voire l’incompréhension) du handicap par leurs directeurs des ressources humaines. En effet, le handicap est souvent réduit à une personne en fauteuil roulant, aveugle, sourde ou ayant une déficience mentale.

Les discussions menées à ce sujet laissent remarquer la présence des filtres invisibles du handicap témoignant d’une « discriminations par le goût » des PSH. Il s’agit notamment de la crainte de la productivité des PSH, perçue comme limitée par rapport à celle des non-handicapées. Ainsi que l’inaccessibilité des locaux des entreprises aux PSH, besoin d’aménagements divers et raisonnables (ergonomie). Le “handicap” est perçu comme synonyme de l’inaptitude, de l’impuissance, de l’inexpérience, de l’insuffisance de formation ou encore de la sous-qualification des PSH …

Les DRH ne sont pas conscients du fait que c’est de la responsabilité de l’employeur qui recrute ou maintient une personne en situation de handicap de s’assurer que la personne peut travailler dans des conditions de sécurité et de santé optimales. De ce fait, aménager les postes des travailleurs handicapés est rarement la priorité des directeurs RH interviewés. Il s’agit par exemple de : Plaque pour langage Braille, écran plus grand, siège ergonomique, bureau ajustable… en plus de l’ascenseur élargi et des pentes aménagées.

De même, les pratiques RH des entreprises étudiées restent génériques. Elles n’intégrant pas la spécificité des PSH (ergonomie…) avec une absence de toute action de discrimination positive (quotas …). À cet effet, la politique de recrutement de personnes handicapées ne passe pas par une sensibilisation à la thématique du handicap. Les hésitations et les craintes sont remarquées par les entreprises interviewées. Elles concernent d’abord le risque d’absentéisme, les arrêts maladie, leur répétition sur de longues périodes. Ce qui implique clairement pour l’entreprise une notion de manque de fiabilité et de productivité du salarié handicapé. Une communication franche, sans fausse gêne, ne peut qu’être bénéfique pour les deux parties pour expliquer précisément l’état du handicap et les solutions proposées des deux côtés.

Plusieurs difficultés ont été soulevées à savoir : La présence des stéréotypes et des préjugés ; le coût perçu, alors que la plupart des travailleurs en situation de handicap n’ont pas besoin d’un aménagement de travail spécifique ; le faible niveau de qualification des travailleurs handicapés ; et la complexité et la lourdeur des dispositifs réglementaires.

Ces constats témoignent plus que jamais du manque de spécialistes en la matière pour accompagner les entreprises et les former à la gestion du handicap au travail, notamment à l’échelle des directions des ressources humaines et de RSE au Maroc.

4 – Comment réussir alors l’intégration de cette catégorie? Quels leviers à actionner?

La réussite de l’inclusion professionnelle des personnes en situation de handicap au Maroc pourrait se faire à travers les leviers suivants : Favoriser l’accès des PSH à la formation, en ayant recours par exemple à l’alternance ou à des dispositifs de formation réguliers ; Mieux accueillir les collaborateurs en situation de handicap, en facilitant la rencontre employeurs-PSH, en sensibilisant le personnel, mais aussi en adaptant le travail (rythme de travail, télétravail, accessibilité physique et numérique et les autres formes d’ergonomie) ; Reconnaître et valoriser les entreprises handi-accueillantes par les outils de pilotage de la RSE comme les systèmes de référentiels spécifiques à l’instar de l’initiative de la commission Label RSE de la CGEM ; Établir des coopérations entre grandes entreprises et PME pour mutualiser les savoirs et partager les bonnes pratiques ; Agir par les achats responsables en intégrant des activités du milieu adapté sur la chaîne d’approvisionnement de l’entreprise ; Construire des co-entreprises : milieu ordinaire –milieu adapté, comme des joint-ventures sociales permettant à la fois la coopération et l’échange de compétences ; Développer des outils professionnels universels en repensant la façon de concevoir les outils mis à disposition des travailleurs handicapés ; Combattre les stéréotypes, par la sensibilisation, la formation, la communication externe et la publicité.

En effet, les entreprises socialement responsables sont celles qui vont au-delà des exigences légales et obligations imposées par les conventions collectives pour répondre à des besoins sociétaux, en s’alignant sur les directives des normes du comportement (ISO 26000, GRI, charte RSE de la CGEM…). Elles devraient être un puissant catalyseur de l’intégration sociale en luttant contre toutes les formes de discrimination en son sein et auprès de sa chaîne de valeur. En matière du handicap, de nombreuses réactions négatives existent encore suite aux stéréotypes et aux préjugés que les acteurs du monde de l’entreprise font à ce sujet. La gestion de la diversité en entreprise contribue à la « correction » de tels comportements et attitudes en favorisant l’égalité des droits, des chances et du traitement entre les salariés sans aucune discrimination.

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