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IE: Quatre questions à Mountacir Zian, DG de CMAIS

Propos recueillis par Karima EL OTMANI.

Casablanca – La nouvelle conjoncture imposée par l’avènement de la crise sanitaire du nouveau coronavirus (Covid-19) a mis en avant le rôle de la veille stratégique et de l’Intelligence Économique (IE) comme moyen incontournable du développement de la compétitivité et de la performance.

Dans un entretien dédié à la MAP, Mountacir Zian, Directeur de la Compagnie méditerranéenne d’analyse et d’intelligence stratégique (CMAIS), nous expose la mise en œuvre de l’intelligence économique au Maroc, son rôle dans la relance de l’économie nationale, ainsi que les défis et enjeux de son déploiement.

1- En ce temps de crise, comment l’intelligence économique (IE) peut aider à faire relancer l’économie?

Les institutions se retrouvent face à une perte de maitrise de l’environnement induite par le fait que la situation actuelle n’a pas été prévue dans leurs stratégies. C’est là où l’IE prend toute sa place pour anticiper les situations de crise à travers une démarche prospective et l’accompagnement pour la mise en place de dispositifs de gestion de crise. Les praticiens de l’IE accompagnent leurs clients dans la définition des risques, ainsi que la mise en place de plans de gestion de crise. Des exercices de simulation peuvent également être mis en place.

Aussi, cette situation place le dirigeant face à une forte incertitude (et donc à une perte de repères). Le manque de visibilité quant à ce qui peut se produire en termes de mutation de marché ou de comportement des consommateurs risque de conduire certaines entreprises à perdre de grosses parts de marché. Là encore, l’IE peut venir en support des entreprises ou institutions afin de les alimenter en éléments et information pour la prise de décision ou la compréhension des mutations de l’environnement. Les praticiens de l’IE sont experts dans la collecte et le traitement de l’information, ils sauront donc trouver l’information stratégique essentielle pour le décideur en cette période de crise. Par ailleurs, toute crise donne naissance à des opportunités que les entreprises devront savoir détecter pour repositionner leurs offres et relancer leurs activités.

2- Quelles sont les enjeux et les défis à relever par l’IE au Maroc ?

Tout d’abord le développement d’une doctrine propre à l’Intelligence Économique. Plusieurs pays ont formalisé leur doctrine et leur approche IE pour répondre à leurs enjeux stratégiques. Nous évoluons certes dans un monde interconnecté et globalisé mais cela ne veut pas dire que les pratiques sont uniformes. Chaque pays, chaque région a ses spécificités culturelles et économiques dont il faut tenir compte. Bien entendu, rien n’empêche de s’inspirer d’expérience à l’international afin d’en tirer les meilleurs enseignements dans la définition de notre doctrine. Cela devra passer par le développement d’une expertise propre au Maroc sur cette fonction, à travers la formation, la sensibilisation et la publication d’ouvrages et d’études capables d’enrichir cette réflexion.

Un des principaux défis sera, pour les décideurs et acteurs du marché, de prendre en compte la situation de risque dans laquelle nous évoluons ce qui devra nécessairement les conduire à renforcer leurs dispositifs de gestion de crise et à avoir recours à l’IE pour suivre les situations et anticiper les risques.

La mise à disposition et la structuration de la data ainsi que l’amélioration de la coopération au niveau régional et continental en matière d’IE sont également deux défis qu’il faudra relever. Ainsi que la valorisation du capital informationnel des institutions et administrations publiques marocaines.

Le rôle des représentations diplomatiques marocaines à l’étranger en tant qu’outil d’IE doit être renforcé. Du fait qu’elles maitrisent l’environnement politique et économique des pays dans lesquels elles sont présentes, les représentations diplomatiques doivent être la première porte d’entrée des entreprises ou investisseurs marocains dans un pays étranger. Elles doivent ainsi adopter une démarche d’ouverture sur les acteurs nationaux et élaborer des outils favorisant leur internationalisation.

Enfin, les institutions publiques et les entreprises marocaines doivent s’ouvrir aux acteurs privés nationaux pour l’IE. Ces derniers sont à même de répondre aux besoins stratégiques des entreprises marocaines du fait de leur connaissance de l’environnement et des spécificités culturelles.

3- L’IE est bien implantée dans les grands groupes mais encore très peu utilisée par les PME, qu’en est-il de ce constat?

Les grands groupes investissent à l’international et sont donc confrontés à la concurrence étrangère ainsi qu’aux difficultés liées à la pénétration de nouveaux marchés où résident des habitudes de consommation ou des mécanismes de fonctionnement différents. Les enjeux pour les grands groupes sont donc importants ce qui nécessite de sécuriser leur investissement. Il en est de même pour les entreprises à taille intermédiaire qui se sont ouverts à l’international.

Au niveau des PME, le faible recours à l’IE est une problématique que l’on retrouve dans d’autres pays. C’est notamment le cas en France où les PME font peu appel à l’IE. Le manque de connaissances relatives à l’IE, le faible nombre de ressources humaines, la spécialisation dans un domaine, sont autant de facteurs qui expliquent le manque de recours à l’IE.

Les régions doivent donc jouer un rôle pour développer le tissu économique régional en faisant appel à des praticiens de l’IE pour établir un diagnostic territorial permettant de détecter les forces et les faiblesses d’une région ainsi que les opportunités qui se présentent pour le territoire. Ce diagnostic devra permettre de mettre en place une stratégie d’orientation pour mieux structurer le tissu des PME régionales. Dans ce sens, la réforme des Centres Régionaux d’Investissements (CRI) au Maroc devrait permettre d’atteindre cet objectif et jouer le rôle de catalyseur du déploiement de l’IE auprès des divers écosystèmes régionaux.

Et d’ajouter que pour les PME, l’IE est actuellement perçue comme un outil. Le passage à l’IE comme fonction est nécessaire pour permettre aux PME d’en maitriser tout l’apport sur le plan stratégique, notamment pour les PME qui sont présentes dans un secteur fortement concurrentiel. Il est essentiel de disposer d’une stratégie à court, moyen et long terme pour se fixer un cap. Mais il est impératif de pouvoir déterminer si les objectifs fixés sont conformes à la réalité du marché, s’ils sont atteignables, si le marché à évoluer, la demande est existante, le positionnement des concurrents, les nouveaux outils ou méthodes usités dans un secteur ou domaine,… autant d’éléments de décision auxquels l’IE peut apporter des réponses avant l’implémentation de la stratégie et durant son déploiement.

4- Comment se place le Maroc en termes d’IE par rapport aux autres pays ?

Les pays européens et anglo-saxons sont à l’avant-garde en matière d’IE. Les institutions et administrations publiques font appel aux acteurs privés de l’IE pour des missions spécifiques, bénéficiant ainsi d’une expertise et d’une remontée d’information stratégique plus efficace. Le recours aux cabinets externes favorise également la création d’emploi et permet de bénéficier d’une expertise non disponible au sein de ces institutions.

En ce qui concerne le Maroc, plusieurs initiatives de structuration de l’IE au niveau interministériel ont été conduites au courant des années 2000. Des acteurs privés ont émergé et d’autres ont disparus. La récente crise a démontré le rôle de la veille stratégique et de l’IE (dont la matière première est la veille) pour le monitoring de la situation pandémique et des tensions sociales notamment. Cette pandémie a permis de placer l’IE au centre de l’attention des décideurs.

Il devient indispensable pour le Maroc de disposer d’acteurs forts en matière d’IE pour pouvoir tirer pleinement profit de la refonte des chaines de valeurs induite par la crise du nouveau coronavirus. Il faut noter que les cabinets d’IE peuvent offrir de nouvelles grilles de lecture aux décideurs. Le Maroc gagnerait énormément à avoir recours à ces cabinets afin de disposer d’éléments d’analyse de l’environnement qui renforceront sa place sur l’échiquier mondial.

Enfin, nous ne disposons pas d’outils nationaux de veille stratégique créant ainsi une dépendance vis-à-vis des fournisseurs étrangers. Pourtant, il existe un vivier de talents au Maroc à même de développer des outils propres et permettre aux opérateurs économiques d’être entièrement indépendant sur la data et son traitement.

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Yassine Ahizoune