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Internationalisation des entreprises: Interview avec Maître Nawal Ghaouti

Casablanca – Si le volet économique et commercial d’une stratégie d’internationalisation est, souvent, le plus visible et parlant pour les entreprises, il n’en demeure pas moins que le volet juridique revêt une importance capitale pour mener à bien ce projet crucial dans le cycle de vie de toute entreprise.

Maître Nawal Ghaouti, avocat agréé près la Cour de Cassation et dirigeante du cabinet “Ghaouti Nawal Lawfirm”, a accordé un entretien à la MAP, dans lequel elle a mis l’accent sur certains enjeux à caractère juridique relatifs à l’internationalisation des entreprises.

1- Pouvez-vous nous parler de l’arsenal juridique orienté vers la promotion de l’export ?

Avant d’évoquer précisément la question de l’arsenal juridique dédié à la promotion de l’export, je me permettrai de citer quelques chiffres livrés par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) suite à son enquête nationale menée auprès des entreprises en 2019: seulement 6,8% des entreprises marocaines sont exportatrices dont 3,5% exportent de manière régulière.

Alors que les entreprises tournées vers l’export sont en majorité industrielles, moins de 10% des entreprises marocaines exercent dans ce secteur et sont anciennes pour une grande partie. La création récente d’entreprises s’opère principalement dans le secteur tertiaire, très peu mondialisé, et par des TPE.

La Commission Spéciale pour le Modèle de Développement (CSMD) confirme ce constat et relève que le “pays compte environ 6000 entreprises exportatrices (contre 60.000 en Turquie), sans hausse significative depuis deux décennies et dont une partie réduite est active et exporte régulièrement” ce qui démontre “un faible renouvellement du tissu exportateur”.

La problématique de la conquête de marchés extérieurs apparaît donc comme totalement et avant tout tributaire de la constitution du tissu économique, de la taille des entreprises, des secteurs d’activité qu’elles privilégient et de leur capacité de durabilité.

De ce fait, les actions à même de soutenir la croissance externe vers des territoires étrangers, sont également celles qui favorisent de manière générale la création des entreprises, leur développement et leur croissance.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) confirme que “la compétitivité des marchés intérieurs stimule incontestablement la participation aux Chaînes de Valeur Mondiales”.

Les entreprises interrogées par le HCP ont identifié comme freins à l’export “la gestion du taux de change, le transport et la logistique, la réglementation douanière, l’accès au financement, la faible subvention de l’Etat, le coût de la main d’œuvre et la forte pression fiscale”.

Les chefs d’entreprises ne soulèvent pas dans cette large enquête de demande directe spécifique liée au cadre juridique de la promotion de l’export. Mais nous pouvons considérer que toute amélioration des dispositions législatives et réglementaires portant sur le “climat des affaires”, dans les domaines cités, aura une portée favorable sur leurs capacités de développement à l’étranger par la stimulation du tissu productif local.

Il s’agit, notamment, de la loi de finance, réglementation des changes, cadre juridique du marché des capitaux, réglementation bancaire, code de commerce, lois sur les sociétés mais aussi la loi sur les Partenariats Public-Privé, la loi sur la simplification et la dématérialisation des procédures administratives.

Sans oublier les textes organisant la transition énergétique, puisque des conditions de décarbonation industrielle sont désormais érigées notamment par l’Union Européenne comme nouveau prérequis d’accès à ce marché dès 2023.

Cependant, la modernisation de ces législations ne peut résoudre à elle seule les défis multidimensionnels de la difficulté de nos entreprises à s’internationaliser.

Les insuffisances du Maroc régulièrement citées par les observateurs tiennent également à des éléments dénués de caractère juridique mais qui ont trait à la compétitivité.

En réponse, de nombreuses actions de promotion sont régulièrement menées par les pouvoirs publics et les différents organismes nationaux et institutionnels en vue de soutenir les entreprises par des programmes d’accompagnement et de financement.

2 – Quelles sont les formes juridiques les plus adéquates à un projet d’internationalisation d’une entreprise ? Quid du GIE ?

Les projets d’internationalisation des entreprises marocaines peuvent revêtir plusieurs formes juridiques d’alliances stratégiques dont on peut citer :

– Le portage: deux entreprises concluent des accords pour exporter. L’une devra être présente sur le marché étranger, et servira de base de distribution des produits de la seconde, moyennant une commission.

– La franchise: la société nationale s’allie à une entreprise locale qui va distribuer ses produits sous sa marque sur le marché étranger.

– Le groupement d’acteurs en Consortium d’exportation: C’est une forme fortement promue par l’ONUDI (Organisation des Nations Unis Pour le Développement Industriel) par son programme “Développement des systèmes productifs locaux et réseaux de PME”. Cet organisme propose aux acteurs nationaux de “renforcer leur productivité en encourageant les liens inter-entreprises ainsi que les collaborations à travers un effort commun”.

Les Consortium à l’export connaissent un grand succès au Maroc également avec la création d’entités juridiques distinctes de leurs membres même si le droit marocain ne consacre pas le Consortium comme une forme juridique ou associative particulière.

Les membres se contentent parfois de signer un contrat de coopération, ce qui les prive des subventions dédiées à ces opérations d’export. Les Consortium peuvent se constituer en Société Anonyme ou le plus communément en Groupement d’Intérêt Économique.

Le Consortium comme forme d’alliance stratégique répond à plusieurs avantages dont la réduction des coûts, la réduction de l’incertitude, le partage de connaissances et la complémentarité.

Les entreprises doivent néanmoins être attentives aux risques liés à la “co-opétition” (coopération-concurrence) au sein de ces groupements qui rassemblent des partenaires aux intérêts parfois divergents.

– Le Groupement d’Intérêt Economique (GIE): créé par la loi 13-97 en avril 1999, il permet à plusieurs entreprises de se réunir afin de développer leur activité tout en conservant leur indépendance. Il est régulièrement choisi comme forme sociale par les PME désirant mutualiser leurs efforts dans un projet d’exportation.

Il correspond à une coopération durable et permet une liberté d’organisation. Le GIE présente cependant un inconvénient majeur lorsque les entreprises membres n’ont pas la même taille ou le même poids financier, puisqu’il induit une responsabilité indéfinie et solidaire des membres.

– La Joint Venture (JV): la recherche d’actifs stratégiques à l’international se concrétise souvent par des opérations de fusion acquisition dans “un processus de mise en commun de l’activité mondiale du partenaire” étranger.

Les JV créées dans le pays d’implantation permettent d’accéder à des réseaux de vente et de distribution, de bénéficier de relations locales, mais aussi de profiter d’une enseigne ou marque connue et appréciée par les consommateurs locaux.

Ces opérations permettent de limiter la prise de risque en territoire étranger tout en accédant à de la technologie et en abolissant les barrières culturelles. La JV peut être également créée sur le territoire national avant de partir à la conquête de nouveaux marchés.

Plusieurs PME peuvent se réunir, une PME peut faire alliance avec une grande entreprise ou avec une société multinationale pour acquérir les capacités financières et logistiques lui permettant de participer à des opérations d’exportation.

Des coopérations entre acteurs privés et publics sont également possibles selon le modèle chinois dont les entreprises étatiques conquièrent par ce biais les marchés étrangers et notamment africains, à grand renfort de subventions et le soutien multiforme de l’”État stratège”.

– La filiale commune sous forme de Société par Actions simplifiée SAS: la SAS a été mise en place par la Loi 17-95 pour servir de forme juridique destinée à faciliter les rapprochements et les coopérations des entreprises.

Par la souplesse de son fonctionnement, la SAS peut s’adapter aux divers systèmes étrangers d’organisation et de gouvernance et réunir ainsi en son sein plusieurs acteurs de nationalité différente en vue de conquérir des marchés extérieurs.

Désormais ouverte aux personnes physiques également, tous les montages entre commerçants en prévision d’une internationalisation deviennent envisageables.

Pour les alliances locales, soumises au droit marocain, l’offre des structures est donc multiple et peut favorablement répondre aux attentes des opérateurs d’un point de vue strictement juridique même si les différentes formes sociales restent perfectibles.

Nous constatons que lorsque les entrepreneurs créent une alliance basée dans le pays d’installation, la mise en concurrence des corpus juridiques favorise le plus souvent le choix de l’application du droit étranger pour les pays européens notamment, même si l’arbitrage comme mode de résolution des conflits est choisi prioritairement.

La consolidation générale de notre système juridique dans toutes ses composantes permettrait à l’avenir de soutenir nos opérations à l’international par l’exigence du choix du droit marocain et l’appui de juristes nationaux à nos entreprises, ce qui sécuriserait fortement ces conquêtes.

3 – Dans quelle mesure une bonne gouvernance pourrait conduire vers une meilleure internationalisation ?

Une PME qui met en place une stratégie d’internationalisation, par la voie de l’export ou par tout autre moyen, est une entreprise qui a su surmonter les obstacles liés à sa rentabilité, à sa croissance et à sa survie.

Elle est généralement suffisamment solide pour disposer des financements nécessaires à son développement et à l’acquisition de fonds propres permettant des investissements audacieux.

Néanmoins, toutes les PME, même les plus saines financièrement ou les plus prospères n’ont pas la vocation ou la volonté de se développer à l’étranger ni l’ouverture nécessaire pour se tourner vers d’autres horizons.

En effet, les facteurs qui freinent une plus grande intégration mondiale des entreprises ne sont pas seulement exogènes, même si ces derniers pèsent lourd. La compétitivité des entreprises dépend également du mode d’administration de ces sociétés et des pratiques managériales qui y ont cours.

En évaluant comment les entreprises peuvent développer de nouvelles sources de croissance dans un environnement fortement concurrentiel, des études ont relevé, ainsi, plusieurs éléments communs aux entités performantes à l’export: une capacité d’adaptation et d’innovation, une veille proactive et informationnelle, mais aussi et surtout une capacité à développer une gouvernance efficiente.

La question de la performance est reliée par ce biais de la gouvernance à des notions aussi diverses que le contrôle de l’entreprise, la rémunération de ses dirigeants ou le mode de partage du pouvoir entre capital et management.

Sans oublier le profil, la psychologie et la formation des dirigeants de ces entreprises qui peuvent être handicapés par: un manque de connaissance des langues étrangères, une culture ancrée des subventions, une aversion pour la coopération et les regroupements, une moindre maitrise des moyens de communication modernes ou des techniques de management à distance etc…

Les PME marocaines sont souvent centrées sur le modèle du dirigeant/fondateur. Tous ces éléments se traduisent en partie dans la notion de “culture managériale averse au risque” soulignée par la CSMD.

Le choix de la SARL pour plus de 97% des entreprises marocaines, met en avant ce schéma par la prééminence du gérant dans cette structure sans permettre une ouverture équilibrée de la gouvernance à des investisseurs externes.

Et par l’absence d’organes de contrôle ou de surveillance de ces formes sociales qui peinent à convaincre leurs banquiers de leur affecter les financements nécessaires à leur expansion.

La forme juridique peut circonscrire ainsi en partie les opportunités ou limites de croissance de ces sociétés. Il serait néanmoins trop réducteur de lier la problématique de la performance aux seuls critères de la gouvernance ou de la primauté des actionnaires fondateurs.

Si l’on observe le cas de l’Allemagne, championne du monde des exportations, nous voyons que 99% des entreprises y sont des PME, dont 95% sont des entreprises familiales et que 98% des entités exportatrices sont néanmoins des PME.

De ce point de vue, il semble plus juste dans le cadre d’une réflexion plus large, de compléter cette analyse par des facteurs externes aux entreprises, aussi incontestables que les données géographiques, géologiques, démographiques sans oublier l’histoire économique et politique de ces pays.

Voir aussi:

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