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La souveraineté numérique, champ de bataille pour les Etats

 

Casablanca- Face à la dépendance inévitable de nos modes de vie aux systèmes d’exploitation informatique et aux applications numériques, les géants de la tech poursuivent leur montée en force. Ces multinationales qui règnent sur le réseau numérique, maîtrisent et manipulent un nombre infini de données générées par des utilisateurs connectés à travers le monde et continuent d’imposer leur diktat dans un cyberespace régi par des normes techniques.

Ce pouvoir absolu de gestion et de réglementation de l’espace numérique conféré aux grandes entreprises technologiques, que certains qualifient même de nouvelle forme de colonisation, échappe au contrôle des États. Les prérogatives de fixer les conditions générales d’utilisation de services en ligne, de contrôler les ressources internet et de conserver et stocker des données personnelles, bouleversent les modes de gouvernance et remettent en cause la notion de souveraineté des Etats, dans sa définition traditionnelle.

La notion de souveraineté numérique pourrait sembler antinomique, puisqu’elle juxtapose le concept de souveraineté, qui veut qu’un Etat ne soit obligé ou déterminé que par sa volonté propre, à celui du numérique qui a trait à un monde ouvert interdépendant et interconnecté, a expliqué dans une interview à la MAP, Othmane Krari, Directeur Associé à la Compagnie méditerranéenne d’analyse et d’intelligence stratégique (CMAIS).

Toutefois, la réalité des pratiques du numérique permet de dépasser cette contradiction conceptuelle et d’identifier les déterminants à la nécessité de disposer d’outils et de moyens technologiques souverains, a-t-il relevé.

Face à la hausse du poids du numérique dans des secteurs régaliens, notamment la sécurité, la finance et les infrastructures critiques, M. Krari a indiqué que les Etats se sont trouvés dans l’obligation d’augmenter leur capacité à agir dans le cyberespace, de le réguler et de peser sur l’économie du numérique.

Particulièrement suite à la propagation du Coronavirus dans les quatre coins du monde, qui a atomisé le contact humain laissant place à la prédominance des rapports virtuels, “le secteur technologique a été l’un des plus performants en cette période de pandémie, ayant été indispensable dans la gestion des opérations de maintenance à distance, dans la mise en place du télétravail ou encore dans la communication. Les Etats disposant d’un secteur technologique performant ont ainsi pu compter sur ce dernier pour mitiger, partiellement, les effets de la crise au niveau économique”, a-t-il fait observer.

Citant l’exemple de Singapour, qui a su créer les conditions nécessaires à l’émergence d’acteurs technologiques nationaux performants, en l’occurrence l’application de communication Zoom, le Directeur Associé à CMAIS a noté que le pays a pu se placer sur l’échiquier technologique international, en tant qu’acteur intégré dans les dispositifs de collaboration à l’échelle mondiale.

Ainsi, adapter le concept de souveraineté numérique aux politiques économiques permet de créer des acteurs locaux performants capables de renforcer la capacité de projection à l’international, a-t-il dit, relevant qu’au Maroc des initiatives visant à offrir un cloud souverain national existent, mais qu’il faudrait aller plus loin pour permettre de structurer une notion de souveraineté numérique au Maroc.

Selon lui, l’Etat pourrait, en s’inscrivant dans une démarche d’intelligence économique et stratégique, lister les domaines technologiques prioritaires sur lesquels il souhaite disposer d’outils souverains dans l’objectif de soutenir financièrement les entreprises technologiques nationales.

Il est également indispensable d’améliorer l’accès au capital des entreprises technologiques marocaines qui éprouvent des difficultés à lever des fonds pour développer leur activité, a-t-il argué, soulignant également l’urgence de prioriser les champs d’intervention dans le domaine de la Recherche et développement marocain.

Il faut que l’Etat, les entreprises et le milieu académique puissent coordonner leurs efforts en vue de diriger la recherche vers les technologies qui permettront au Maroc de renforcer sa souveraineté numérique et d’exporter son expertise à l’international, a-t-il plaidé.

Et d’ajouter que le Maroc est invité également à se doter d’une véritable doctrine nationale de cyberdéfense afin de pouvoir insuffler une dynamique locale de réflexion autour de cette question, rappelant que le développement numérique enclenché conduira inéluctablement les institutions à s’exposer à des risques de cyberattaques.

 

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