À LA UNE

Artisanat et crise: 5 questions à Asmae Kadiri

Propos recueillis par Hasnaa ELAKKANI

Casablanca – La directrice de la stratégie, de la programmation et de la coopération au département de l’Artisanat, Asmae Kadiri, a dressé dans une interview accordée à la MAP, une radiographie du secteur de l’artisanat. Un secteur qui, au-delà de son importance économique, constitue un vecteur de cohésion, d’échange et de solidarité pour une large frange de la population marocaine.

Le poids du secteur dans l’économie, l’impact du covid-19, les solutions proposées pour rebooster les ventes, le cadre juridique et la nouvelle stratégie ont constitué l’ossature de l’interview.

 

1. Quelle est l’importance du secteur de l’artisanat pour l’économie marocaine, en termes de PIB, emploi, cohésion, … ?

L’artisanat est incontestablement considéré comme l’un des secteurs vitaux qui occupe une place importante dans le potentiel de développement économique et social du Maroc. Cette place dont il jouit aujourd’hui au sein de l’échiquier économique national est le fruit de grands efforts ayant été déployés pour le repositionner, d’un secteur considéré jadis comme purement social, vers un secteur à poids économique notable.

Le secteur constitue en effet un réceptacle d’emplois. A travers ses deux composantes: l’artisanat d’art et de production et l’artisanat de service, il emploie environ 2,4 millions de personnes, représentant ainsi près de 22% de la population active occupée du Maroc (47% dans l’artisanat de production et 53% dans l’artisanat de service).

En 2018, le secteur de l’artisanat a participé à hauteur de 6,5% dans le PIB national, ce qui dénote d’une capacité non négligeable à créer de la richesse aux côtés des autres secteurs économiques nationaux.

Selon les chiffres issus des enquêtes que le ministère a menées auprès des artisans pour estimer les indicateurs stratégiques de l’artisanat d’art et de production, ce sous-secteur a réalisé un chiffre d’affaires de 76,4 Milliards DH, soit une évolution de l’ordre de 4% par rapport à 2017.

A retenir qu’en 2018, la part du marché interne dans le chiffre d’affaires a augmenté pour atteindre 88% (contre 78% en 2017). Cette évolution continue maintient ainsi le marché intérieur comme principal client de l’artisanat marocain.

Au-delà des chiffres, le secteur de l’artisanat constitue un vecteur de cohésion, d’échange et de solidarité pour une large frange de la population marocaine. Les artisans sont effectivement unis autour des valeurs ancestrales, de l’identité culturelle et de l’authenticité marocaines qui sont l’essence même du secteur. De même, le savoir-faire artisanal et la créativité artistique qui distinguent l’artisanat marocain sont le fruit d’une transmission intergénérationnelle continue, marquée par la passion et la patience.

D’ailleurs, le travail et le regroupement des artisans au sein de coopératives reflètent cet esprit de cohésion. A fin 2019, le nombre de coopératives d’artisanat dépassait les 5.000 unités avec près de 50.000 adhérents, représentant ainsi 18,4% du mouvement coopératif national.

 

2. Comment évaluez-vous l’impact de la crise sanitaire actuelle sur le secteur de l’artisanat ?

Afin d’évaluer l’impact de la pandémie du covid-19 sur le secteur de l’artisanat et les artisans et de s’enquérir de leurs difficultés durant cette crise, le Département de l’artisanat a mené deux vagues d’enquêtes auprès d’un échantillon de 1.000 artisans; la première durant le confinement (en mai) et la seconde durant septembre dernier. Une troisième vague est en cours de préparation pour son lancement début décembre.

Les principaux résultats de ces enquêtes ont mis en évidence un arrêt total de l’activité chez 85% des artisans durant le confinement et une diminution de ce taux à 35% après reprise de l’activité (à fin septembre).

Cette reprise modérée de l’activité apparaît également à travers les revenus des artisans. En effet, le revenu mensuel moyen de l’artisan avait chuté, durant le confinement, de 95% en raison de l’arrêt majoritaire de l’activité. Ce taux est passé à -45% après le déconfinement (à fin septembre).

Comme suite à ces constats, l’état de la trésorerie est majoritairement considéré comme mauvais que ce soit durant ou après le confinement. De même, le rythme de reprise n’est pas très apprécié par les artisans dont la majorité le considère comme très lent.

Pour ce qui est des difficultés rencontrées après la relance de l’activité, l’incapacité de paiement des charges liées à l’activité vient en tête, suivie de la diminution des ventes et des difficultés de commercialisation.

 

3. Quelles sont les principales mesures prises pour soutenir les artisans et les entreprises d’artisanat notamment en matière de couverture sociale, de financement et de commercialisation ?

Dans l’objectif d’atténuer l’impact de la crise sanitaire due à la pandémie du covid-19 sur le secteur de l’artisanat, le ministère a élaboré, en partenariat et en concertation avec tous les acteurs institutionnels concernés, un plan de relance visant la reprise progressive des activités du secteur et ce, à travers la création des conditions propices à ce nouveau départ. La mise en œuvre de ce plan de relance est déjà entamée et s’articule autour des axes suivants :

– Suivi du respect des mesures de prévention sanitaire après la reprise des activités depuis la mi-juin:

•  Mobiliser l’ensemble des services extérieurs du ministère pour accompagner les artisans lors de la reprise de leur activité professionnelle et veiller à la mise en place de toutes les mesures préventives;

•  Mettre en place de cellules d’écoute au sein des représentations territoriales du ministère, y compris les délégations de l’ODCO, afin d’accompagner les artisans et les coopératives dans la résolution des problèmes immédiats,

– Assistance des acteurs du secteur dans la reprise de leur activité, à travers :

•  L’appui à la commercialisation :

Dans un premier temps, le ministère est intervenu pour appuyer les artisans et les coopératives dans la commercialisation directe à travers les espaces publics et les grandes chaînes de distribution, en leur garantissant la commercialisation de leurs produits avec des conditions préférentielles, et à travers également, l’exploitation des espaces d’exposition – vente au sein des infrastructures relevant du ministère.

Comme deuxième étape, le ministère et la Maison de l’Artisan ont initié conjointement un chantier de grande envergure qui a abouti à la signature de conventions de partenariat avec 7 plateformes de commerce électronique marocaines pour la vente digitale des produits de l’artisanat. L’objectif ultime de ces partenariats est de faire bénéficier le maximum d’artisans et de coopératives des opportunités qu’offre cet important mode de commercialisation.

•  L’appui à l’accès au financement:

Le ministère assure l’accompagnement des acteurs du secteur pour bénéficier des offres de financement mises en place par l’Etat, avec des conditions exceptionnelles, pour réduire l’impact de la pandémie actuelle et ses retombées sur les entreprises et les unités d’artisanat. Afin de garantir un accompagnement efficace, le ministère, avec ses directions territoriales et en collaboration avec des institutions bancaires partenaires, a procédé à l’élaboration et la mise en œuvre d’un programme de sensibilisation et de formation à distance au profit des coopératives depuis le confinement à date d’aujourd’hui.

Ce programme vise à les sensibiliser, les encadrer et les former en matière de commercialisation, de digitalisation, d’utilisation des outils de communication, et aussi en matière de procédure d’accès aux différents produits de financement existants, y compris ceux du programme “Intelaka”. A titre indicatif, jusqu’à fin octobre, 400 sessions de formation à distance ont été organisées par Dar Al Moukawil, en coordination avec l’ODCO et les Directions territoriales du ministère. Ces sessions ont concerné plus de 3.700 coopératives à travers tout le Royaume et 11.600 participants dans les différentes thématiques citées.

Suite aux retombées positives de cette initiative, le ministère est en train d’établir, en collaboration avec les institutions bancaires partenaires, un programme de formation similaire, destiné aux mono-artisans et aux petites et très petites entreprises. Une action pilote a été lancée au niveau de Fès et Marrakech, dans la perspective d’élargir cette action aux autres régions.

•  La protection sociale des artisans:

Conformément aux Hautes Orientations Royales, le ministère s’attèle, en coordination avec tous les intervenants concernés, à la mise en œuvre du chantier stratégique national relatif à la couverture sociale des artisans et ce, en application des dispositions de la loi 15.98 relative au régime de l’assurance maladie obligatoire et la loi 15.99 instituant un régime de pensions pour les catégories des professionnels, des travailleurs indépendants et des personnes non salariées exerçant une activité libérale.

Dans ce cadre, une série de concertations avec les professionnels a été lancée, à travers une rencontre nationale avec les Chambres d’artisanat entre autres acteurs.

•  L’incitation à la consommation des produits de l’artisanat :

Le ministère a incité toutes les composantes de l’Administration centrale et territoriale, ainsi que les Établissements Publics à soutenir la consommation des produits de l’artisanat national et ce, à travers les commandes publiques qui sont à même de constituer un vrai levier pour atténuer l’impact de la crise et stimuler la demande intérieure.

•  L’appui à la formation:

Dans ce cadre, le ministère a veillé à renforcer la plateforme électronique « almaalam.artisanat.gov.ma » sur le site officiel du ministère par des supports pédagogiques et outils audiovisuels, ce qui a permis de continuer la formation à distance, et d’assurer les cours aux apprentis.

 

4. Le projet de loi 50.17 relative à l’exercice des activités de l’artisanat a été adopté en juillet dernier, qu’en est-il des textes d’application ?

Le ministère a fait de l’organisation et de la réglementation de l’exercice des activités de l’artisanat, l’une des priorités de ses chantiers de développement. Cette priorité découle non seulement de l’importance de la valorisation du travail des artisans et de la qualité des produits de l’artisanat, mais aussi de la nécessité de protéger le consommateur et de rehausser l’image de marque du produit artisanal national.

A cet effet, le ministère a élaboré, dans le cadre d’une approche participative avec les différents partenaires concernés, un projet de loi relative à l’exercice des activités de l’artisanat, afin de répondre aux attentes réelles des différents acteurs du secteur. La loi 50.17 a ainsi été approuvée par le parlement et publiée au Bulletin Officiel N° 6904 le 30 juillet 2020.

Cette loi vise, entre autres, la création d’un Registre National de l’Artisanat, la facilitation de la généralisation de la couverture sociale à l’ensemble des artisans, la structuration des organismes professionnels au niveau national, régional et provincial, l’encouragement des artisans à intégrer le secteur formel, ce qui renforcerait leurs capacités à faire face aux crises éventuelles et la mise en place d’un dispositif de validation des acquis professionnels.

Pour accélérer la mise en œuvre des dispositions de cette loi, dont dépend l’exécution de plusieurs chantiers, en particulier la mise en place du registre et la généralisation de la couverture sociale, le ministère s’est activé à élaborer les projets de textes réglementaires prévus par la loi (9 projets au total), en concertation avec les chambres d’artisanat, leur fédération et la fédération des entreprises de l’artisanat. Ces textes d’application sont actuellement dans le processus d’approbation via le Secrétariat Général du Gouvernement.

 

5. Quels sont les grands axes de la nouvelle stratégie de l’artisanat ?

La pandémie du covid-19 a coïncidé avec le lancement de l’étude relative à la nouvelle stratégie du secteur qui se trouve actuellement, au stade d’élaboration de la nouvelle vision, des axes stratégiques et du plan d’actions pour la période 2021-2030.

Quoi que cette phase ne soit pas encore achevée, nous pouvons néanmoins assurer dès à présent que parmi les axes prioritaires sur lesquels le ministère devrait intervenir, il y aurait inévitablement:

Premièrement, la mise en œuvre de deux chantiers stratégiques importants pour le secteur, à savoir la couverture sociale au profit de tous les artisans et la nouvelle loi 50-17 relative à l’organisation des activités de l’artisanat, promulguée récemment après des décennies d’attente par les professionnels.

Deuxièmement, l’adoption de l’approche par filières, qui permettrait de travailler sur l’ensemble de la chaîne de valeur des filières concernées, de revoir leurs business modèles, de les dynamiser et de les moderniser. A ce niveau, on commencerait par les filières porteuses pour lesquelles nous disposons de diagnostic complet, à savoir, la poterie- céramique, le tapis rural et la bijouterie, dans la perspective de généraliser cette approche aux autres filières après établissement de leurs diagnostics.

Troisièmement, la refonte organisationnelle et institutionnelle de la Maison de l’Artisan. Il s’agit de revoir la structure organisationnelle ainsi que les programmes, les services et la performance opérationnelle de cet établissement et ce, en mettant en place de nouveaux programmes innovants permettant d’apporter un appui intégré aux acteurs structurés, en améliorant les procédures de promotion commerciale, de commercialisation stratégique et de communication, notamment à travers l’élaboration d’études de marché nécessaires à la prise de décisions, et le développement d’outils de veille stratégique de manière globale.

Quatrièmement, le lancement de chantiers transversaux renforçant les chantiers sus-cités, en l’occurrence :

– Le développement et l’amélioration de la formation dans le secteur, notamment la formation par apprentissage, étant donné les grandes opportunités d’embauche et d’insertion sociale que recèle ce mode de formation. Ceci nécessite un travail concerté avec nos partenaires, pour aboutir à l’élaboration et l’exécution d’un plan d’actions ambitieux, susceptible d’améliorer l’offre en formation dans tous ses aspects, et d’accroître le nombre d’inscrits et de lauréats à l’horizon 2030.

– La mise en place d’une nouvelle approche pour accompagner les acteurs du secteur (entreprises, coopératives et mono artisans) qui devrait être innovante, adaptée et intégrée, y compris la facilitation de l’accès au financement.

– La diversification des canaux de distribution des produits de l’artisanat marocain, notamment par le biais des outils numériques (e-commerce, Marketplaces, etc), tout en procédant à sa promotion au Maroc à travers un nouveau cadre de certification.

Actuellement, le ministère s’active à finaliser la phase actuelle de l’étude sur la stratégie de l’artisanat afin d’aboutir au programme d’actions qui sera jalonné par plusieurs phases de mise en œuvre :

Premièrement, un plan d’actions pour la promotion du secteur en 2021, lequel comprendra des mesures à caractère prioritaire, notamment celles de nature à préserver le tissu économique et l’emploi, et à activer la reprise des activités.

Deuxièmement, un plan d’actions à partir de 2022 qui visera le développement et la transformation durable du secteur.

 

Voir aussi:

Bourse/Actions: Les OPCVM réalisent 41% du volume au T1

Hicham Louraoui

Empreinte numérique du gouvernement: Premier baromètre de 2022

Salma EL BADAOUI

L’agence Standard and Poor’s relève la perspective de la note du Maroc de “stable” à “positive”

Yassine Ahizoune