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Monnaie hélicoptère: remède miracle face à la crise ?

Casablanca – Un hélicoptère larguant des billets dans les rues, autour duquel une foule s’amasse pour ramasser de l’argent. A en croire une mise en scène tout droit sortie d’une production hollywoodienne, mais qui pourtant décrit la métaphore qu’avait utilisée l’économiste Milton Friedman, en 1969, pour illustrer la théorie de la “monnaie hélicoptère”, un concept digne des idées les plus farfelues, visant à inciter à la consommation et déclencher le stimulus nécessaire à la relance de l’économie, particulièrement en temps de crise.

Dans sa définition classique, la monnaie hélicoptère est une expression utilisée par les économistes pour désigner le cas où les autorités monétaires imprimeraient des billets bancaires et les distribueraient directement et sans contrepartie aux plus vulnérables. L’objectif étant d’encourager les ménages à dépenser de nouveau et les entreprises à investir plus, dans l’ultime but de stimuler plus rapidement la demande et redresser l’activité économique.

A la différence de la planche à billets, le concept de la monnaie hélicoptère consiste en une création monétaire par les banques centrales ex-nihilo et sans contrepartie, contrairement à ce qui se pratique lorsque celles-ci utilisent la planche à billets pour financer le déficit public. Ce mécanisme se distingue également des subventions, qui sont purement budgétaires, et permettrait ainsi d’alimenter l’économie sans pour autant générer de dettes.

Longtemps considéré comme purement théorique et peu vraisemblable, le concept de la monnaie hélicoptère a ressurgi face à l’ampleur de la crise économique provoquée par la pandémie du nouveau coronavirus, qui pousse à la réflexion sur le recours à des mécanismes non conventionnelles pour la relance, dont notamment la monnaie hélicoptère, en vue d’amortir les dégâts de confinement sur l’économie, particulièrement chez les grandes puissances mondiales.

Pour les théoriciens, qui militent pour l’utilisation de cet instrument, l’objectif de l’insertion de liquidités directement aux ménages et entreprises, contribuerait à booster l’économie, particulièrement face à une forte récession et lorsque les taux d’inflation sont au plus bas, une situation qui prévaut dans plusieurs pays à l’heure actuelle.

Par ailleurs, l’ONG Positive Money Europe, a estimé dans sa publication intitulée “Helicopter money as a response to the Covid19 recession in the eurozone”, que la distribution de 1.000 euros à tous les citoyens de la zone euro permettrait un stimulus immédiat de 1,2% du PIB, sans tenir compte de l’augmentation des recettes fiscales pour l’Etat.

Chez les plus dubitatifs, l’impact sur l’activité économique de ce mécanisme ne serait pas garanti, d’autant plus que le comportement des consommateurs qui en bénéficient est imprévisible. Son effet sur l’activité économique et la consommation serait donc marginal et insuffisant pour relancer la production et la croissance.

Les ménages pourraient choisir d’épargner ou de thésauriser la monnaie reçue, au lieu de la dépenser, estiment les économistes qui considèrent que le surcroît de consommation engendré par la monnaie hélicoptère pourrait, dans certains cas, profiter en grande partie aux produits importés.

En plus de ces risques omniprésents, l’inflation et la perte de la valeur de la monnaie alimentent les réticences des économistes, puisque la présence en grande quantité d’une monnaie sur un marché, induite par ce mécanisme, entraîne une hausse de l’offre par rapport à la demande et diminue son attrait pour les spéculateurs.

Dans son étude intitulée “La monnaie hélicoptère aurait-elle son mot à dire dans la crise de la Covid-19 ?”, l’économiste chercheur Karim El Mokri, a indiqué que dans le contexte actuel où les retombées de la crise de la Covid-19 sont sans précédent, tous les instruments potentiels méritent d’être étudiés par les pays en voie de développement, relevant toutefois que le débat sur l’utilisation de la monnaie hélicoptère se fait rare au niveau des pays en voie de développement, contrairement aux pays avancés.

Selon l’auteur de cette étude publiée par le think-tank marocain Policy Center for the New South (PNCS), ce besoin se pose avec acuité pour un pays comme le Maroc où le taux d’endettement du trésor dépassait 65% du PIB en 2019, notant que ce niveau de dette, bien que soutenable, s’inscrira sans doute dans une tendance haussière durant la phase de sortie de crise.

Les craintes par rapport à un effet inflationniste incontrôlable qui pourrait résulter de l’utilisation de la monnaie hélicoptère, ne semblent pas très justifiées pour le cas du Maroc, a-t-il précisé, démontrant que le pays dispose d’un niveau d’inflation initial assez faible et d’importantes capacités de production non utilisées qui lui permettraient de soutenir la demande par la monnaie hélicoptère.

Ceci dit, la monnaie hélicoptère sous sa forme de transfert direct aux ménages ne serait pas non plus sans risque, a-t-il estimé, arguant que le Maroc devrait rester vigilant par rapport aux risques qu’elle peut présenter et ne pas hésiter à désactiver le mécanisme de la monnaie hélicoptère dès l’apparition de signaux perturbateurs.

Il s’agit du cas d’une forte et persistante dépréciation du dirham qui pourrait avoir lieu consécutivement au lancement des opérations de monnaie hélicoptère et qui pourrait être synonyme de fragilisation de la confiance dans la monnaie nationale suite à ce changement, a-t-il avancé.

Le deuxième signal pouvant justifier la désactivation précoce de la monnaie hélicoptère, d’après M. El Mokri, serait le cas d’une mauvaise réaction des marchés, bailleurs de fonds et agences de notation, suite à l’introduction de ce nouvel instrument, ce qui pourrait augmenter le coût d’emprunt du Maroc sur le marché international.

Malgré les avantages et les externalités positives que la théorie de la monnaie hélicoptère promet, les contre-arguments fusent à l’encontre de cet instrument alternatif, qui vient rompre avec les cadres conventionnels des politiques monétaires face à la crise sanitaire. Une crise qui nécessite pourtant un changement de paradigmes économiques, face à des perspectives économiques peu prometteuses, nécessitant davantage de mesures de sauvetage et de recours à la dette, à l’heure où de nombreux pays ont annoncé un retour au confinement.

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Youness AKRIM