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PME/Marché des capitaux: Entretien avec Nasser Seddiqi

– Propos recueillis par TAIMOURI Zin El Abidine –

Casablanca- Le Directeur des opérations financières et des marchés à l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), Nasser Seddiqi, dresse, dans une interview accordée à la MAP, le constat de la situation de la petite et moyenne entreprise (PME) dans le marché des capitaux et revient sur les mesures adoptées par l’Autorité pour faciliter l’accès au financement à cette catégorie de structures.

Quelle est la part des PME dans les entreprises cotées à la Bourse de Casablanca ?

Bien que les PME représentent la majorité de notre tissu économique national, elles demeurent toutefois sous-représentées au niveau de la cote de la Bourse de Casablanca.

A titre d’exemple, sur les 45 introductions en bourse réalisées entre les années 2000 et 2018, 8 seulement ont été réalisées sur le troisième compartiment de la Bourse qui était destiné à coter des entreprises représentant un profil PME.

Ces 8 opérations ont représenté moins de 1% du montant global des introductions en bourse sur cette période dans la mesure où elles portaient sur des tailles assez réduites. En effet, les opérations réalisées sur le troisième compartiment avaient une taille comprise entre 16 millions et 52 millions de dirhams (MDH) avec une moyenne de l’ordre de 30 MDH.

Ainsi, à fin 2018, 13 sociétés sur 76 étaient cotées sur le troisième compartiment de la Bourse, et représentaient 2% de la capitalisation globale du marché. Fin 2019, l’architecture du marché boursier a été repensée dans l’objectif notamment, de répondre aux besoins spécifiques des PME avec la création du marché alternatif dédié à cette catégorie d’entreprises.

En s’appuyant sur une nouvelle définition plus large de la PME, un premier diagnostic avait permis d’identifier, parmi les sociétés cotées, 21 entreprises éligibles au marché alternatif, dont 3 ont opté pour leur transfert vers ledit marché et représentent une part non significative de la capitalisation globale.

Partant de ce constat, une série de mesures a été entreprise avec les principaux acteurs de l’écosystème pour faciliter davantage l’accès des PME au financement via le marché des capitaux, notamment dans le contexte de crise sanitaire actuel qui appelle à la mobilisation de toutes les innovations et ressources qui permettront de contribuer à la relance économique.

Quel est l’apport des PME à cet écosystème ?

Parallèlement aux bénéfices qu’elles en tirent, les PME qui se financent sur le marché des capitaux contribuent au développement de ce dernier. En effet, les PME qui répondent aux prérequis de l’accès au marché des capitaux, en termes de situation financière, gouvernance et de perspectives de développement peuvent représenter un potentiel intéressant de croissance à long terme.

Elles peuvent aussi être en mesure de s’adapter plus rapidement à des changements de contexte économique grâce à leur agilité et leurs structures plus flexibles. Ainsi, elles constituent une classe d’actifs attractive qui permet d’améliorer la diversification des portefeuilles boursiers grâce à leur couple rendement-risque différent de celui des “blue chips”.

Par ailleurs, l’existence d’un nombre suffisant de PME sur les différents segments du marché des capitaux permet de structurer des produits d’investissement ciblant cette classe d’actifs tels que des fonds collectifs d’investissement en titres de PME, aussi bien sous forme de dettes que de capitaux propres.

Le développement de ces produits permet d’élargir les opportunités de financement pour les PME d’un côté, et d’investissement pour les épargnants de l’autre, créant ainsi un cercle vertueux favorable à la croissance économique de manière générale.

Quels avantages de l’introduction en Bourse pour les PME ?

Le marché des capitaux marocain présente aujourd’hui des opportunités importantes de financement pour les PME, que ce soit pour financer leurs cycles d’investissement ou d’exploitation, par capitaux propres ou par dettes. Bien entendu, le financement par le marché des capitaux exige naturellement le respect de certains prérequis en matière de gouvernance et de transparence.

Ces prérequis nécessitent certainement un effort de la part des entreprises qui veulent se financer sur le marché, mais contribuent en contrepartie, d’une part, à la pérennité de la société par la mise en place de bonnes pratiques de gouvernance et d’autre part, au renforcement de la confiance entre l’entreprise et ses investisseurs, facilitant l’accès à des financements additionnels pendant tout le cycle de vie et de développement de la société.

Ainsi, lorsque ces prérequis sont satisfaits, la PME qui se finance sur le marché des capitaux peut bénéficier de plusieurs autres avantages. Je citerais en premier l’impact positif en termes d’image et de notoriété de la société, favorisant de nouvelles opportunités d’affaires grâce à la garantie de transparence et de bonne gouvernance.

Le financement par le marché des capitaux permet aussi à la société d’élargir sa base d’investisseurs et de diversifier ses sources de financement, ce qui se traduit généralement par une optimisation de ses conditions de financement et de sa structure financière. Il permet également de faciliter le transfert de l’entreprise, notamment en cas de succession. En outre, les investisseurs de la société bénéficient de la valorisation de leur patrimoine et de la liquidité offerte par le marché.

Quelles sont les mesures entreprises par l’AMMC pour faciliter l’accès au marché des capitaux aux PME ?

L’AMMC a fortement contribué, au cours de ces dernières années, à la mise en place d’un cadre réglementaire visant à favoriser le développement du marché des capitaux et à améliorer sa contribution au financement de l’économie.

Ainsi, les récentes réformes ont visé, d’une part, à améliorer la confiance des investisseurs sur le marché afin de faciliter la mobilisation de l’épargne par les entreprises, notamment grâce à l’amélioration de la transparence des émetteurs, ainsi que la mise en place de règles de bonne gouvernance et d’autre part, à répondre aux besoins des entreprises et à leur faciliter le recours au marché des capitaux.

Ce dernier point s’est traduit, notamment, par l’allègement du formalisme juridique et des conditions requises pour les émissions d’emprunts obligataires et l’élargissement des possibilités de garantie desdits emprunts.

Le processus de financement par le marché a aussi fait l’objet d’une optimisation des exigences en termes d’informations à inclure dans les prospectus, notamment par la mise en place du schéma du document de référence qui permet aux émetteurs de préparer plus sereinement leurs opérations financières et de pouvoir sortir sur le marché plus rapidement au moment opportun, tout en permettant aux investisseurs de pouvoir mieux prendre connaissance de l’émetteur avant de participer à l’opération.

Dans le cadre de ces réformes, la PME a bénéficié d’une attention particulière et a fait l’objet de mesures importantes permettant de lui faciliter l’accès au marché. Parmi les évolutions notables, la création du marché alternatif que j’ai évoqué précédemment figure en tête de liste.

En effet, ce marché a été assorti de règles adaptées aux capacités des PME et bénéficie de plusieurs allègements en termes de critères d’admission et d’obligations d’information et de gouvernance.

A titre d’exemples, la PME peut se financer sur la Bourse à partir de 5 MDH pour les titres de capital et de 10 MDH pour les titres de dette.

Elle est aussi dispensée de la production de certaines informations telles que les informations sectorielles et environnementales requises dans les prospectus, de la publication des indicateurs trimestriels financiers et d’activité, ou encore de la publication des aspects liés aux dimensions environnementales et sociales.

Dans le même sens, le délai de publication des comptes annuels a été prolongé d’un mois supplémentaire pour cette catégorie d’entreprises.

Autre élément important, la définition de la PME retenue pour bénéficier des avantages de la cotation sur le marché alternatif a été pensée de manière à être la plus inclusive possible et ouvrir le maximum d’opportunités de financement pour les entreprises marocaines.

Ainsi, est qualifiée de PME, toute entreprise qui a, soit un chiffre d’affaires inférieur à 500 MDH, soit un total bilan de moins de 200 MDH, soit un effectif de moins de 300 salariés.

Ce nouveau marché est aujourd’hui opérationnel et a suscité l’intérêt d’entreprises qui ont demandé de basculer du marché principal vers ce marché, ou d’autres entreprises qui ont annoncé leurs intentions de lever des financements sur ce marché.

Pour compléter ce dispositif d’ordre réglementaire, l’AMMC a travaillé avec certains des principaux acteurs du marché, à savoir la Bourse de Casablanca, Maroclear et l’APSB, afin de proposer des mesures visant à lever les freins limitant l’accès de la PME au marché des capitaux.

L’AMMC a donc conçu et mis en place une “offre PME” en trois composantes destinées à répondre aux besoins des PME souhaitant se financer sur le marché :

1 – une réduction du coût d’accès au marché en divisant par deux les commissions appliquées par les parties précitées pour la réalisation d’opérations sur le marché alternatif ;

2 – l’optimisation des procédures d’accès au marché, notamment à travers la mise en place d’un guichet unique auprès de l’AMMC pour la centralisation et la coordination des démarches à effectuer ;

3 – la mise en place d’un dispositif de formation et d’accompagnement au profit des PME envisageant de lever des financements sur le marché.

Cette offre sera amenée à être élargie à toute la chaîne de valeur avec l’intégration progressive d’autres acteurs et professionnels du marché.

Parallèlement, l’AMMC a également soutenu la création récente de l’association des entreprises faisant appel public à l’épargne qui, forte de l’expérience de ses membres, contribuera aussi certainement à l’accompagnement des PME envisageant de recourir aux financements du marché.

Ainsi, la mise en place de l’ensemble de ces dispositifs démontre la mobilisation de l’écosystème du marché des capitaux pour faciliter l’accès des PME à des sources de financement complémentaires.

Cette mobilisation sera bien entendu poursuivie dans l’objectif d’accélérer l’accès des PME au marché des capitaux tel que cela figure dans les priorités 2022 de l’AMMC et en parfait alignement avec les recommandations du rapport sur le nouveau modèle de développement.

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