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Résorption de l’informel : 3 questions à un économiste

Casablanca – Abdelghani Youmni, économiste et spécialiste des politiques publiques, s’est exprimé, dans un entretien accordé à la MAP, sur les moyens à mettre en œuvre pour la résorption de l’informel, tout en revenant sur l’état des lieux et le poids de ce secteur dans l’économie du Royaume.

1- Quel état des lieux dressez-vous de l’économie informelle au Maroc ?

Il est important de souligner le fait que la crise sanitaire de la Covid-19 a révélé le poids de l’informel pour l’économie nationale, c’est une donne structurelle de toutes les économies de taille intermédiaire. Plus de 5.1 millions de personnes gravitant autour de l’économie informelle ont bénéficié des allocations du fonds Covid-19 versés via l’outil digital, l’informel a aussi paradoxalement été une des soupapes qui a servi à la réouverture de l’économie suite à la levée progressive du confinement économique entre juin et septembre 2021.

Certes le poids de l’économie informelle est en régression depuis trois décennies, il ne représente plus que 30% du PIB contre 40% en 1998 et 34% en 2009 mais le ratio en termes d’emplois reste en revanche effrayant avec plus de 80% de l’emploi total ce qui nécessite des réformes structurelles d’inclusion.

Le pays doit œuvrer pour une convergence progressive entre le volontarisme de généraliser la protection sociale universelle pour les 22 millions de marocains nouveaux qui inclut la santé, les allocations familiales, les allocations de retraites et les allocations perte d’emploi, le devoir de financer par les cotisations sociales et les prélèvements graduels et indexés sur les revenus des ruraux et des urbains et enfin d’éviter les déficits des caisses qui ne sera pas sans impact sur le déficit budgétaire et la dette publique.

2 – D’après vous, quels sont les moyens à mettre en œuvre pour la résorption de ce fléau ?

Au-delà des impacts et des externalités néfastes de l’informel, la lutte contre l’économie de contrebande et les prouesses en termes de nouvelles industries de transformation et de substitution aux importations, les relocalisations d’unités de textile et de plasturgie pourraient contribuer à la création de milliers d’emplois formels et de réduire la part de l’informel.

Le volontarisme marocain d’avant-crise et post-crise sanitaire est inscrit de manière irréversible dans l’accession à la souveraineté alimentaire, commerciale et économique et de ne plus dépendre des chaînes d’approvisionnement étrangères.

Cette nouvelle stratégie de rupture en plus de réduire les importations de plus de 34 MMDH pourrait créer les conditions d’une économie de production et d’exportation de produits manufacturés et créer de l’emploi et de la valeur ajoutée formels et transformer définitivement l’ADN de l’entrepreneur marocain de marchand importateur à producteur local et exportateur de labels et créateur de richesses économiques, sociales et fiscales.

Ainsi l’augmentation des droits de douane décidée en 2020 accusée à tort de détruire plus de 1.5 millions d’emplois de vendeurs et de commerciaux permettra au capital de se libérer et d’investir dans la création de préserver ses emplois et de créer plus de 600.000 emplois nouveaux et de la valeur ajoutée dans les régions enclavées du Maroc, rattraper les recettes fiscales et les revenus de travail et permettre de lutter contre l’emploi et l’économie informels.

La stratégie de formalisation de l’économie informelle échouera si c’est l’option de la contrainte légale qui est choisie, il faudra réduire l’usage du cash dans l’économie pour renforcer la traçabilité et disposer d’arguments et de preuves de fraudes. Aussi, trouver des mécanismes simplifiés de règlement de la Contribution Professionnelle Unique (CPU), ingénieuse car sans être excessive elle comporte une part sociale et une part fiscale. Il s’agit enfin de résoudre l’imbroglio de la collecte et du reversement de la TVA pour ce secteur et de permettre l’accès au financement et au marché pour les unités informelles productives, créatrices d’emplois et de valeur ajoutée, surtout dans les régions enclavées car il va sans dire qu’aucun modèle de développement économique n’est viable sans équité économique entre les territoires.

3 – Quel est le poids de l’informel au Maroc ?

Au Maroc, le poids de l’économie informelle s’élève à 170 milliards de dirhams (MMDH), l’équivalent de 14,1% du PIB, elle égalise la somme des parts en valeur ajoutée dans le PIB national du tourisme (7,5%) et du textile (7%), secteurs qui emploient à eux deux pas moins de 750.000 et 220.000 personnes.

A partir de données comparatives, il ressort que sur une population active de 11 millions, si le secteur privé formel absorbe 3 millions de salariés, celui de l’économie informelle le talonne avec 2.5 millions soit 25% de la population active, le reliquat correspond à 4 millions de personnes dans le secteur primaire et 3 millions répartis entre la fonction publique et les professions libérales. Le manque à gagner fiscal annuel pour cause d’économie informelle est de 40 MMDH, les pertes de cotisations sociales est de 6 MMDH, de taxe sur la valeur ajoutée s’élève à 28 MMDH et de pertes en impôts sur les sociétés de 4 MMDH.

Le poids de l’informel reste une histoire du verre à moitié vide et du verre à moitié plein, les disparités régionales font que l’économie informelle est inversement proportionnelle en pourcentage mais pas en chiffres d’affaires à la disponibilité d’unités de production et d’emplois d’une région à l’autre.

Toutefois, la mise en orbite concomitante du projet de Nouveau Modèle de Développement et la Régionalisation Avancée et que le Maroc a opté pour un modèle d’industrialisation orienté vers l’exportation doublé d’un modèle de substitution aux importations, un tout complémentaire et fondé en grande partie sur l’expansion territoriale inclusive de l’activité économique. La réussite de ce défi permettra une résorption progressive de l’économie informelle.

Mais, l’informel tout en étant nocif il permet de ne pas aggraver l’inflation, l’économie marocaine restera duale encore pour quelques années. Le caractère rurale du pays et le complexe des besoins de l’économie populaire alimentaire, vestimentaire et de services de maçonnerie, de plomberie, de menuiserie et autres continuera à drainer des emplois et des capitaux qui tout en permettant une redistribution de richesses accroîtront la part informelle de la croissance formelle et la recette miracle serait de consolider les contributions sociales et fiscales de ces catégories, une sorte de formalisation par l’adhésion au pacte social et fiscal du pays.

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