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Titrisation: 5 questions à Mohammed Belkasseh

Le consultant financier chez “Arithmetica Advisory” et professeur à l’Ecole nationale de commerce et de gestion (ENCG) de Settat, Mohammed Belkasseh, explique, dans un entretien à la MAP, le fonctionnement de la titrisation et son rôle dans la relance économique, tout en revenant sur “Fonds Damane Tamayouz” qui a été lancé par le groupe OCP.

1- Concrètement, en quoi consiste la titrisation et comment ça fonctionne ?

En vue de mieux élucider le concept de la titrisation, il conviendrait d’appréhender une illustration dans un schéma classique, où la banque utilise les dépôts en provenance de ses clients créanciers, à capacité de financement en vue d’attribuer des crédits à ses clients débiteurs manifestant un besoin de financement. L’idée à ce niveau est que la banque tient en même temps une position d’emprunteur, surtout vis-à-vis des dépôts à terme rémunérés et de prêteur dans le cadre de la réalisation de son objet social de “bailleur de fond”.

Financièrement, le pari de la banque dans ce scénario est évident, celui notamment d’emprunter au moins cher et de prêter au plus cher pour ainsi réaliser une marge d’intérêt nette appelée le spread représentant la différence entre les deux taux emprunteur et prêteur.

Le processus de la titrisation se déclenche alors lorsque la banque, en tant qu’établissement initiateur, décide de transférer sa créance vis-à-vis de l’emprunteur à une entité ad hoc, ne jouissant pas de la personnalité morale, dite Fonds de Placement Collectifs en Titrisation (FPCT). Ce dernier est constitué conjointement par un organisme gestionnaire assurant la gestion du fonds et un autre dépositaire assurant la garde des actifs à rendement concernés détenus par le fonds.

Ladite créance atterrit donc dans l’actif dudit fonds qu’il finance au moyen de l’émission de parts et, le cas échéant, de titres de créance auxquels les investisseurs peuvent souscrire au prorata de leurs apports respectifs. Les produits d’intérêt et de remboursement sur les créances initiales de la banque sont alors perçus par le FPCT qui les reverse aux investisseurs acquéreurs ayant des droits de copropriété sur une partie ou la totalité de ses actifs. En somme, la banque bénéficie d’une liquidité immédiate tout en transférant à la fois le revenu et le risque inhérents à sa créance aux investisseurs intéressés.

Ainsi, suivant le cas susvisé, l’investisseur lambda aurait deux possibilités, soit se contenter de la rémunération de son dépôt auprès de la banque en bénéficiant d’un niveau confortable d’assurance ou bien placer son argent dans des titres adossés à des actifs pouvant lui conférer un rendement supérieur compte tenu du niveau du risque engagé.

En règle générale, les titres émis par le FPCT peuvent être soit adossés directement à des actifs réels soit à des créances hypothécaires, notamment dans le cadre de prêts immobiliers, et sont rassemblés dans un panier d’actifs structurés en tranches chacune conférant un revenu dépendamment du niveau du risque qu’il lui est propre en fonction de la maturité et du risque inhérent au recouvrement des créances initialement nées.

 

2- Quelle est la différence entre titrisation synthétique et classique ?

Lors de la titrisation classique, on assiste à un transfert effectif de la créance à une tierce partie, notamment le FPCT. En d’autres termes, la créance est réellement cédée en tant qu’actif au Fonds acquéreur. Alors que dans le cas d’une titrisation synthétique, on assiste uniquement au transfert du risque lié au non-recouvrement de la créance concernée. Ledit risque pourrait alors être porté soit par une assurance soit par n’importe quel autre organisme garant dont les FPCT.

Ladite tierce partie définit alors le plafond de la perte probable qu’elle serait prête à assurer en fonction du risque encouru. Par analogie, l’opération de la titrisation synthétique est parfaitement assimilable à n’importe quelle police d’assurance contractée dont les termes portent sur la couverture du risque de non-recouvrement d’une créance et où l’assureur s’engage à assumer tout ou une partie dudit risque (comme dans le cas d’un crédit bancaire).

Du moment que le FCPT garant ne peut pleinement agir en qualité d’assureur en préparant une police d’assurance en bonne et due forme, en général, il contracte un Credit Default Swaps (CDS) formalisant l’ensemble des termes portant sur le transfert du risque opéré. Dans ce cas de figure, le Fonds est rémunéré par le biais notamment de points de base déduits du taux d’intérêt appliqué par la banque (ou tout autre organisme financeur) à son client débiteur faisant partie du portefeuille dont le risque a été transféré.

 

3- Quid des avantages et inconvénients de ce montage financier ?

Il est vrai que la titrisation comporte un ensemble de risques. En premier lieu, le risque d’impayé, dû à une difficulté voire une cessation de paiement du débiteur, qui demeure probable. Aussi, existe-t-il le risque d’un paiement anticipé de l’emprunteur qui pourrait surgir à la suite de la diminution des taux d’intérêt et au refinancement. Sur d’autres formes d’actifs objet de la titrisation, il est également relevé le risque de leur mauvaise évaluation initiale. Finalement, on assiste bien, dans le cadre de la titrisation, au transfert de l’ensemble des risques des actifs sous-jacents au marché financier où la crise des subprimes surgie entre 2007 et 2011 demeure un cas d’école.

Toutefois, les montages financiers occasionnés par la titrisation recèlent d’innombrables avantages dont on peut citer l’amélioration de la liquidité pour l’établissement initiateur qui parvient, en même temps, à transférer le risque de non-recouvrement pesant sur son seul bilan à plusieurs autres investisseurs diluant ainsi sa portée.

Pour le cas de la banque, la titrisation représente une vraie aubaine au renforcement de ses disponibilités de trésorerie, ce qui accentue son rôle de financement de la croissance où toutes les parties prenantes y trouvent leur compte, et ce, en ravivant la dynamique financière de l’économie. Le processus de la titrisation éclairant ainsi un métier d’intermédiation à part entière animé par les organismes initiateurs et les FPCT dont la rémunération correspond aux spreads subséquents.

Par ailleurs les actifs titrisés, abstraction faite de leur nature, regagnent systématiquement une liquidité augmentée sur le marché secondaire. Et par la même occasion, le processus de la titrisation, en permettant de court-circuiter la position de la banque ou de tout autre opérateur économique initiateur, compte tenu des risques encourus, y compris la banqueroute, maintient sain et sauf le rapport entre le bénéficiaire du crédit accordé et son “nouveau créancier” qui est désormais l’investisseur. Ce dernier, qu’il soit particulier ou institutionnel, bénéficie de plus de choix de placement selon son aversion au risque.

4 – Le Groupe OCP a lancé récemment le “Fonds Damane Tamayouz”. Quels apports, directs et indirects, de ce Fonds pour l’écosystème de la TPME?

Le Fonds Damane Tamayouz est pratiquement le premier Fonds de titrisation synthétique au Maroc. Abstraction faite de la démarche pionnière dans son originalité au Maroc, cette opération de titrisation est particulière puisqu’elle retro-booste l’accès au financement par les très petites, petites et moyennes entreprises (TPME) évoluant dans l’écosystème OCP. Ce qui constitue automatiquement un portefeuille de prospects pour la société de financement, à savoir Finéa.

En même temps, l’OCP donne l’exemple de l’opérateur marocain résilient face à la crise dont le poids et la confiance-même qu’il inspire se transforment en levier financier à la fois pour le groupe et pour ses créanciers dont la solvabilité demeure attestée.

Encore s’agit-il d’une expérience pilote tout à fait duplicable par d’autres opérateurs majeurs en concertation avec les établissements de crédit soit en stimulant et facilitant le recours au financement par le tissu économique marocain constitué en grande majorité par des TPME et ce, sur la base de risques plus ou moins maîtrisés, soit en procédant à des opérations de titrisation classique où les créanciers bénéficient d’une liquidité immédiate débloquant leur autofinancement.

 

5 – Quel rôle pourrait jouer ce mécanisme dans le cadre de la relance ?

Le mécanisme de la titrisation classique soit-elle ou bien synthétique recèle un potentiel énorme en tant que solution immédiate en mesure d’assister la croissance économique post-crise tant espérée.

Une relance économique réclame systématiquement du financement. Les établissements de financement de la place, par le biais notamment du mécanisme de la titrisation, pourraient alors transférer ou atténuer le risque encouru des crédits actuels mais encore mieux ajuster leurs bilans en vue de répondre aux contraintes réglementaires prudentielles.

Le risque post titrisation des actifs concernés étant automatiquement atténué d’une manière significative voire ramenée à 0%. Ce qui permettrait aux opérateurs financiers de reprendre leur rôle central de catalyseur de la croissance.

De plus, ce Fonds souscrit par l’OCP, marque une première au Maroc en mesure de poser les prémices d’un marché bien structuré à l’efficacité et au potentiel de performance prometteurs dont notre économie a complétement besoin en vue de soutenir son processus de création de la valeur.

Par la même, cela ouvre de nouvelles perspectives pour l’industrie de la gestion d’actifs en vue d’accompagner les opérateurs dans des montages similaires d’atténuation des risques crédits. Ceci dit, le cas des risques conséquents (en référence aux tranches mezzanines des portefeuilles concernés entre autres), représenterait à son tour un créneau de développement intéressant en termes de rémunération pour les acteurs de l’assurance.

Voir aussi:

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