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Préférence nationale: 4 questions au professeur Riad Mekouar

Casablanca – La question de la préférence nationale et du consommer marocain fait débat, particulièrement dans le contexte de la crise actuelle. En effet, l’Etat marocain oeuvre pour l’opérationnalisation de la préférence nationale en tant que levier nodal de relance de l’économie post-Covid-19, incitant à une prise de conscience de la part des citoyens de l’importance de s’orienter vers des produits locaux.

Riad Mekouar, professeur en économie monétaire et financière, marchés internationaux et mondialisation à la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales à la faculté de Ain Chock de Casablanca, a accordé une interview à la MAP, dans laquelle il se penche sur la question de la préférence nationale, son importance pour la relance de l’économie, tout en plaidant en faveur du “consommer marocain”.

1. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le concept de préférence nationale. S’agit-il d’un retour au protectionnisme?

La préférence nationale signifie l’octroi de divers avantages aux nationaux par rapport aux étrangers. Elle est conçue comme le moyen de faire prévaloir leurs intérêts, notamment dans les domaines social (système éducatif, système de la santé et protection sociale), de passation des marchés publics, de l’emploi, ainsi que dans le tissu productif, notamment l’agriculture, l’industrie, le tourisme, les transports et l’artisanat.

La préférence nationale est ainsi avalisée après de 60% en moyenne dans un grand nombre de pays atteignant un pic de plus de 80% en Russie et en Serbie et 73% en Turquie.

Il s’agit d’une politique tout à fait légitime même si dans son essence elle semble contraire aux principes du libéralisme économique. Ceux-ci sont d’ailleurs remis en cause depuis l’éclatement et la propagation de par le monde de la pandémie du Covid-19. Cette crise sanitaire a généré et générera encore plus un repli sur soi des principales économies (Etats Unis d’Amérique et Union Européenne en tête) et l’adoption en priorité de moyens de défense des intérêts nationaux et de la souveraineté nationale.

Est-ce un retour du protectionnisme ? Tout d’abord le protectionnisme n’a jamais disparu. L’adoption du libre échange dans le cadre des politiques néo-libérales s’est toujours accompagnée dans différents pays d’une certaine dose de protectionnisme.

La remise en cause du néo libéralisme implique-t-elle alors l’abandon du libre échange et l’adoption du protectionnisme ? Non ce n’est pas le cas et ne peut l’être. Il s’agit de mesures de sauvegarde, de mesures permettent de mieux faire face à la crise, de mesures de survie. Ces mesures s’imposent d’elles-mêmes car répondent à des urgences extrêmes.

2. Dans quelle mesure le “Made in Morocco” peut contribuer à la relance de l’économie nationale voire à la sortie de la crise actuelle liée au nouveau coronavirus ?

La pandémie Covid-19 n’a fait qu’aggraver et amplifier la situation socio-économique qui préexistait…À cet effet, il y a des urgences auxquelles il serait souhaitable de s’attaquer très rapidement et qui nécessitent l’adoption de politiques structurantes et/ou restructurantes dans les différents domaines économiques, et ce, dans le cadre d’une vision axée sur le progrès socio-économique.

Celui-ci ne pourrait se réaliser que par la promotion, l’encouragement et le soutien du “Made in Morocco”, destiné bien entendu au marché marocain qu’il serait souhaitable de développer, et aux marchés extérieurs, en particulier le pourtour méditerranéen et l’Afrique sub-saharienne.

Le développement du “Made in Morocco” pourrait et devrait avoir comme pilier les TPME. Celles-ci constituent près de 95% des entreprises nationales et souffrent de problèmes de financement plus particulièrement d’accès au crédit, de sous- encadrement, d’accès au foncier… C’est le soutien de ces entreprises par des politiques sectorielles appropriées à tous les niveaux qui leur permettrait de contribuer efficacement à la relance de l’économie nationale et à la sortie de la crise actuelle.

– Au niveau de l’industrie; à travers l’adoption d’une politique d’import substitution. Le Maroc a importé entre 2010 et 2019 des produits de consommation que l’on fabriquait mais que l’on produit actuellement insuffisamment ou pas du tout, pour une valeur de 240 milliards de dirhams (MMDH). Pour la seule année 2019, ces importations étaient de l’ordre de 20 MMDH. La demande nationale en biens de consommation est couverte pour 48% par des importations.

Nous disposons du savoir-faire, mais nous ne disposons pas des moyens nécessaires à la lutte contre la concurrence étrangère quelquefois déloyale. Redynamisons ces industries et consommons leurs produits. Ce sont ces industries qui sont les plus créatrices de richesses. Ce sont ces industries qui sont le plus créatrices d’emplois. Il faut les protéger par des barrières non tarifaires draconiennes, les soutenir et en faire le fer de lance de la réindustrialisation, parallèlement au développement des nouveaux métiers du Maroc.

– L’industrie culturelle; reflet de notre identité culturelle et de notre authenticité ce doit aussi d’être promue et développée (la musique, l’art, l’artisanat, le tourisme…). J’inclus dans cette industrie le tourisme considérant tout simplement que c’est notre culture, notre artisanat… qui devraient être la locomotive du tourisme et non l’inverse. Le produit culturel marocain connu et reconnu de par le monde est peu et mal servi en matière promotionnelle. A titre d’exemple, l’hôtellerie peut constituer un marché très important pour les métiers de l’art marocain.

Le tourisme culturel constitue le fer de lance des politiques espagnoles, françaises, grecques, italiennes… Que l’on en tire des leçons! L’industrie culturelle a pour base et en grande majorité des TPME qui ont grand besoin d’une politique de soutien, une politique de valorisation tant au niveau national qu’international de notre patrimoine ô combien riche.

– L’agriculture; il s’agit de prioriser la consommation des produits nationaux même si dans certains cas ceux-ci sont de moindre qualité que ceux importés (bananes, avocats…).

La structuration ou/et la restructuration de ces seules activités permettrait de relancer l’économie. Elle générerait la création de milliers d’emplois, une croissance de la demande mais une demande adressée à des produits “Made in Morocco”.

3. Comment peut-on inciter et mettre en confiance les Marocains pour consommer des produits locaux?

A travers une politique intense de communication axée sur la citoyenneté, le patriotisme… ; l’appel aux sens. En fait un discours émotionnel, fédérateur pourrait constituer l’ossature de cette politique de communication. Un discours émis par des femmes et des hommes crédibles; des femmes et des hommes ayant fait vibrer le cœur des Marocains de par leur défense des causes nationales, du drapeau national… à tous les niveaux artistique, sportif, économique et social.

Ces femmes et ces hommes mettraient en avant les avantages de consommer du “Made in Morocco” par rapport aux produits importés disponibles sur le marché. Ces produits pourraient bénéficier de mesures fiscales en matière de TVA à titre d’exemple pour les rendre plus compétitifs. La TVA collectée serait peut être plus importante car une baisse de prix générerait à revenu égal un accroissement du pouvoir d’achat.

Ce sont les experts en communication nationaux qui pourraient et devraient déterminer les contours de cette communication hautement stratégique. Il y a cependant besoin d’insister sur la nécessité de construire cette stratégie sur la base du rêve, de l’espoir et de la confiance.

4. Pour consommer marocain il faut produire localement, quelle est votre évaluation du tissu productif national en termes d’offres et de qualité de produits?

En tant que professeur, il m’arrive de mettre sur une copie l’observation suivante “vous pouvez mieux faire”. Il y a indéniablement un potentiel extraordinaire, un génie marocain. Mais malheureusement, nous ne menons pas de politiques à même de faire éclore ce potentiel, ce génie et le transformer en créateurs de richesses.

L’offre marocaine est peu et de moins en moins présente sur le marché. Et pour cause, la disparition de milliers d’entreprises en particulier des TPME chaque année et la mise au chômage de milliers de femmes et d’hommes qui y travaillaient. Les causes de ce processus de démantèlement du tissu productif marocain est donc de l’offre marocaine sont multiples.

Il est du également à la difficulté croissante de faire face à la concurrence de produits étrangers proposés dans certains cas à des prix inférieurs à ceux des produits nationaux et dans certains cas de meilleure qualité. Ce constat doit nous interpeller sur le devenir du tissu productif marocain.

En ce qui concerne l’offre, le tissu productif marocain se doit d’être revisité pour répondre plus et mieux à la demande nationale en biens de consommation en particulier dans les domaines du textile, habillement, cuir, bonneterie, agro-alimentaire…

Ce sont les TPME qui devraient être le moteur de ce processus. Pour ce faire, l’industrie se doit d’être plus attractive pour les investissements nationaux et internationaux, plus génératrice de profits que les autres activités, plus soutenue et plus protégée.

Ce sont ces éléments entre autres qui permettraient à l’industrie de mieux produire et donc d’améliorer la qualité. La qualité ne se décrète pas. C’est une culture à promouvoir. La qualité est aussi une question de moyens permettant l’acquisition d’outils de production performants, l’embauche de ressources humaines compétentes, dynamiques, ambitieuses auxquelles on propose un projet d’avenir.

La qualité nécessite que le chef de l’entreprise ne soit plus la “tête dans le guidon”, gérant les difficultés quotidiennes et nombreuses mais qu’il relève la tête et gère le moyen et le long terme dans le cadre de stratégies bien déterminées axées sur la recherche du progrès économique et social de son entité.

Tout cela implique l’abandon de la sinistrose, plus de solidarité, plus d’attachement et plus de confiance en notre pays. Nous ne pouvons produire de la qualité si nous disposons d’un environnement de qualité.

Voir aussi:

CIMR: Appel à la liquidation des pensions

Maria MOUATADID

Casablanca: Tenue de l’AGO de la CGEM

Marché obligataire: stabilité des taux primaires se poursuit

Karima EL OTMANI