À LA UNE

Agriculture intelligente: Interview avec le DG de l’ADA

Casablanca – Le Directeur général de l’Agence de développement agricole (ADA), El Mahdi Arrifi, aborde dans une interview accordée à la MAP, l’agriculture Intelligente face au climat et son importance pour les agriculteurs marocains, et met en avant la place qu’accorde la nouvelle stratégie “Generation Green” à l’agriculture intelligente.

Comment le changement climatique impacte-t-il le secteur agricole marocain et quelles sont les mesures prises pour y faire face ?

L’agriculture joue un rôle central dans l’économie marocaine. Plus que son poids dans le PIB (avoisinant les 13%) c’est le nombre d’actifs qu’elle emploie qui constitue le marqueur de son importance. Près de 38% de la population active occupée œuvre dans ce secteur, et dans les régions les plus reculées, les plus éloignées du littoral, l’agriculture occupe un rôle essentiel dans les économies locales du pays.

Aussi, est-il à rappeler la lourde responsabilité qui incombe à ce secteur quant à la sécurité alimentaire de près de 34 millions de consommateurs. Ce qui démontre le rôle crucial que joue l’agriculture dans la stabilité économique et sociale de notre pays.

Cependant, le secteur agricole marocain demeure très dépendant des aléas climatiques notamment dans les zones pluviales et fragiles (85 % de la superficie agricole). En effet, l’intensification des effets du changement climatique accélèrent et modifient fortement les paramètres de base des écosystèmes productifs, notamment la température et les précipitations qui affectent à leurs tours la productivité des systèmes de production agricole.

A ce titre et d’après les projections climatiques, on s’attend vraisemblablement à une augmentation significative de la température moyenne et à une diminution des volumes de précipitations avec des variabilités spatio-temporelles importantes. Ajoutant à ceux-ci, l’augmentation de l’intensité et la fréquence des phénomènes climatiques extrêmes telles que les inondations, les vents violents, les vagues de chaleur… qui se manifestent concrètement par la récurrence et l’intensité des années de sécheresses et une diminution substantielle des rendements des cultures et la durabilité des ressources naturelles vitales (eau, biodiversité, sol, parcours…) avec des répercussions négatives sur les conditions de vie, la stabilité et la répartition de la population rurale.

C’est dans cette perspective que le Maroc a engagé depuis 2008 la stratégie Plan Maroc Vert qui a placé la dimension du développement durable au cœur de ses préoccupations et elle a fait l’objet de l’un de ses fondements et ce, à travers l’adoption de mesures d’intervention adaptative les plus efficaces et les plus économiques.

Ces efforts qui vont être consolidés et renforcés également au titre de sa nouvelle stratégie agricole “Génération Green 2020-2030”.

Il est à noter que depuis sa création, l’ADA a accordé une attention particulière à la dimension du développement durable.

Cette préoccupation s’est traduite initialement par la réalisation d’une étude d’évaluation du potentiel d’atténuation par le Plan Maroc Vert des effets du changement climatique, qui a montré que le PMV est un puits carbone à travers un potentiel global de séquestration du carbone pouvant atteindre 179 millions tonnes – équivalent – CO2 contre seulement 62 millions tonnes -équivalent-CO2 sans Plan Maroc Vert.

De plus, l’approche adoptée par l’ADA en matière de développement durable consiste principalement en l’intégration, dans les projets d’agriculture solidaire et inclusive, des mesures d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques dans les zones vulnérables.

Ces mesures d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques adoptées, sont confortées également depuis 2009, par les efforts considérables menés par l’ADA, en matière de mobilisation des financements auprès des bailleurs de fonds multilatéraux et bilatéraux pour mettre en œuvre des projets de développement durable.

Il est à souligner que les efforts déployés par le Maroc en matière de renforcement de la résilience du secteur agricole au changement climatique, ont été couronnés par l’accréditation de l’ADA auprès du Fonds d’Adaptation en 2012 et auprès du Fonds Vert pour le Climat (FVC) en 2016, lui permettant un accès direct aux ressources financières de ces fonds.

Au titre de son mandat d’accréditation auprès du FVC qui prendra fin le 22 août 2021, l’ADA a amorcé le processus de son ré-accréditation auprès du FVC, et ce au vu de présenter au 29ème conseil d’administration du FVC prévu fin juin 2021.

L’ADA ne se limitera pas à la ré-accréditation, mais elle prévoit également d’initier son processus d’up-grading auprès du FVC, qui consiste au rehaussement du niveau de son accréditation pour passer des projets de petite taille (Small : 10-50 MUSD) aux projets de taille moyenne (Medium : 50-250 MUSD).

Comment peut-on définir l’Agriculture intelligente face au climat ?

L’Agriculture intelligente face au climat (AIC) est une approche en faveur de l’action pour le climat dans le secteur de l’agriculture. Elle vise à mettre au point les actions nécessaires pour transformer et réorienter les systèmes agricoles en vue de soutenir efficacement le développement durable et de concrétiser la sécurité alimentaire compte tenu de l’évolution du climat.

L’Agriculture intelligente face au climat vise à intégrer l’adaptation au changement climatique et leur atténuation dans les stratégies de développement, en vue notamment d’accroître la productivité agricole et les revenus tirés de l’agriculture. Elle s’efforce de relever le défi consistant à créer des synergies entre l’adaptation aux changements climatiques, leur atténuation et l’augmentation de la productivité et des revenus agricoles, et à minimiser les possibles corrélations négatives. Pour atteindre ses objectifs, l’AIC a besoin de politiques, d’institutions et de financements en sa faveur, qui créent ensemble un environnement propice au changement aux niveaux local, national et international.

L’Agriculture intelligente face au climat encourage le recours à toutes les solutions au changement climatique disponibles et adaptées, et ce de manière efficace et axée sur les résultats. Elle promeut ainsi les meilleures pratiques agricoles connues, notamment la gestion intégrée des cultures, l’agriculture de conservation, les cultures intercalaires, les pratiques de gestion des semences améliorées et des engrais, et défend en outre l’augmentation des budgets pour la recherche agricole et facilite l’accès aux technologies innovantes pour une gestion efficace et efficiente de l’agriculture à travers le recours à l’utilisation des Drones, système d’alerte précoce, techniques de l’agriculture de précision et le renforcement de l’efficacité des engrais/intrants et utilisation accrue d’engrais organiques. Résister sera déterminant, mais une réponse “intelligente face au climat” comporte plus que cela et met en avant la nécessité d’innover et de procéder à des changements visionnaires dans les pratiques agricoles, de façon à ne pas seulement s’adapter mais aussi à atténuer les effets climatiques et augmenter durablement la productivité

Quels sont les avantages que procurent ce concept aux agriculteurs ?

L’intérêt de l’agriculture intelligente face au climat réside dans sa contribution au renforcement des capacités d’adaptation des agriculteurs au changement climatique et la réduction de leurs vulnérabilités vis-vis des variabilités du climat ainsi que la réduction des émissions des Gaz à effets de serre.

En effet, les agriculteurs tributaires de moyens de subsistance sensibles au climat sont menacés par les effets du changement climatique notamment ceux vivants dans les zones vulnérables sur le plan socio-économique et écologique à savoir les zones de montagnes, oasiennes et pluviales.

L’adoption de l’agriculture intelligente face au climat permettra aux agriculteurs d’améliorer durablement leurs revenus à travers l’accroissement de la productivité des cultures pratiquées par une meilleure maitrise des itinéraires techniques, accès aux technologies et à l’information et la gestion pro-active des risques d’une part et la réduction des coûts de production par l’amélioration de l’efficience d’utilisation des intrants et la réduction de la dépendance des exploitations agricoles vis-à-vis des marchés étrangers et la volatilité des prix des intrants ainsi que l’amélioration de l’efficience d’utilisation des ressources naturelles et leurs préservations d’autre part.

Quelle place accorde la nouvelle stratégie Generation Green à l’agriculture intelligente ?

A l’instar de la stratégie Plan Maroc Vert qui a pris fin en 2020, la dimension du changement climatique et le développement durable a constitué l’une des préoccupations majeures de la nouvelle stratégie « Génération Green » qui réside dans le développement du capital humain, la gestion durable des ressources naturelles, l’adaptation et l’atténuation du changement climatique.

Pour atténuer les impacts du changement climatique sur l’agriculture, la nouvelle stratégie capitalisera sur les réalisations du Plan Maroc vert et engagera de nouvelles initiatives pour promouvoir une transition vers une agriculture intelligente face au climat visant à favoriser une gestion durable des ressources naturelles et à renforcer la résilience de l’agriculture face aux impacts du changement climatique.

A ce titre, la stratégie « Génération Green » intègre l’approche de l’agriculture intelligente face au climat à travers les leviers suivants :

– L’amélioration de la résilience de l’agriculture aux impacts du changement climatique par le dédoublement de l’efficacité hydrique et d’économie d’eau d’irrigation, la promotion de l’utilisation des énergies renouvelables et la conservation des sols ;

– La promotion de la recherche scientifique agricole à travers l’augmentation du Budget dédié à la recherche ;

– La sélection et le développement des variétés résistances et adaptées aux évolutions du climat ;

– La valorisation de déchets et de la biomasse agricole en énergie et engrais organique ;

– L’adoption de l’agriculture de précision à travers le recours à l’utilisation des nouvelles technologies pour la conduite, la gestion et le suivi des exploitations agricoles (Drones, capteurs, alerte précoce…) pour augmenter la productivité tout en réduisant la consommation d’énergie et d’intrants ;

– L’introduction des nouvelles technologies et la digitalisation des services agricoles au profit de près de 2 millions d’agriculteurs actifs ;

– Le développement et l’élargissement de l’assurance agricole multirisques climatiques avec un objectif de 2,5 millions d’hectares ;

Pour les petits agriculteurs dans les zones vulnérables, notamment les zones de montagnes, les zones oasiennes, les zones pluviales et désertiques, l’adoption de l’agriculture intelligente face au climat sera concrétisée à travers la mise en œuvre de projets de l’agriculture solidaire nouvelle génération qui vise entres autres à renforcer la résilience de l’agriculture familiale et d’améliorer la gestion des ressources naturelles à travers des actions d’adaptation et d’atténuation des effets du changement climatique telles que:

– Les aménagements fonciers et de conservation des eaux et des sols (CES) ;

– Les aménagements éventuels liés à la petite et moyenne hydraulique (PMH), la collecte et l’épandage des eaux pluviales ;

– La diversification des systèmes de production par l’introduction de nouvelles filières prometteuses et adaptées ;

– La promotion des énergies renouvelables (Solaire pour le pompage collectif, UV…);

– L’amélioration pastorale et le management des troupeaux (ensemencement/plantation, points d’eau, appui à l’organisation…) ;

– Le partage des pratiques locales nouvelles et traditionnelles plus adaptées et résilientes ;

– L’élaboration des guides de bonnes pratiques de conduite des cultures durables et respectueuses de l’environnement ;

– La miss en place des unités de gestion et de valorisation des déchets agricoles (compost, biochar, recyclage du plastique ; agricole, …) ;

– La mise en œuvre des projets de l’agriculture écologique et biologique.

Voir aussi:

La “Samir”: examen des scénarios pour des solutions appropriées

Hicham Louraoui

La CGEM s’engage en faveur du succès du NMD

Hassnaa EL AKKANI

L’APM-2021, les 24 et 25 novembre à Casablanca

Salma EL BADAOUI