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Cotation des entreprises publiques: Interview avec l’universitaire Slimane Ed-Dafali

Slimane Ed-Dafali, enseignant-chercheur en Finance à l’Ecole nationale de Commerce et de Gestion d’El Jadida (ENCGJ), Université Chouaib Doukkali, analyse, dans une interview à la MAP, l’importance et l’impact des introductions en Bourse des entreprises publiques, tant sur ces entités que sur le marché des capitaux. En voici la teneur:

– Comparativement à d’autres pays, très peu d’établissements et entreprises publics au Maroc ont franchi le pas de la Bourse. Comment cela s’explique ?

Depuis plus de trois décennies, le Maroc s’est engagé dans une politique de privatisation et ce, conformément aux dispositions de l’article 1er de la loi n°39-89, promulguée par le Dahir n°1-90-01 du 11 avril 1990. En effet, au-delà de l’importance du poids économique des entreprises privatisées, le mouvement de privatisation a contribué timidement à la dynamique des introductions au Maroc avec un nombre limité d’introductions en Bourse des entreprises publiques ou contrôlées par l’Etat. Nous citons à titre indicatif, les cas de SOFAC (1973), EQDOM (1978), CTM (1993), SAMIR (1996), Maroc Telecom (2004) et Marsa Maroc (2016).

En effet, si l’ouverture du capital des entreprises familiales par un appel public à l’épargne est un pari nécessitant un choix familial stratégique, l’introduction des entreprises publiques nécessite, quant à elle, un choix politique et une orientation publique à long terme quant au modèle économique et au positionnement de l’Etat dans l’économie du marché et dans les marchés des capitaux en particulier.

J’estime, dans ce sens, que la transformation qu’a connue la CCG “TAMWILCOM” pourrait constituer une réelle occasion pour soutenir le mouvement d’introduction en Bourse des entreprises publiques (ou contrôlées par l’Etat) en facilitant leur accès au marché des capitaux. C’est le cas également des entreprises investies par des sociétés de capital-investissement dont la totalité ou une grande partie des fonds provient d’organismes publics et opérant dans des secteurs d’activité stratégiques pour l’Etat.

– Vous avez cité plusieurs cas d’introductions d’entreprises publiques en Bourse. A l’analyse des chiffres, ces introductions ont rencontré un franc succès. Votre commentaire ?

La transition vers le marché boursier requiert de doter l’entreprise publique d’un dispositif de gouvernance stratégico-financière permettant de créer, de capter, de répartir et d’exploiter une valeur partenariale avec les parties prenantes engagées dans le business model de cette entité. D’ailleurs, à titre d’exemple, compte tenu de la bonne dynamique de leurs activités boursières, les entreprises publiques introduites ont réussi les stress tests sur les risques liés à la crise financière de 2008 et à la pandémie covid-19.

Ainsi, malgré l’impact du Coronavirus sur les cours à la Bourse de Casablanca, l’indice boursier Masi a réussi à remonter la pente suite à la levée du confinement. Bien que les chiffres sur les performances opérationnelles et boursières diffèrent d’un secteur d’activité à un autre, l’exemple de Marsa Maroc est révélateur des bonnes dynamiques boursières. L’introduction de 40% du capital de Marsa a rapporté à l’Etat environ 1,9 milliard de dirhams. Cette entrée en Bourse, considérée comme parmi les plus grandes transactions de privatisation, a été suivie en 28 juillet 2021 d’une opération du montage financier reposant sur la cession de 35% de Marsa Maroc au profit du groupe Tanger Med.

Rappelons que les titres de la société d’exploitation portuaire ont été vendus, lors de l’introduction, à un prix de souscription final de 65 dh par action pour une valeur nominale de 10 Dhs, tandis que la valeur du cours s’est stabilisée à 279,90, à fin décembre 2021. D’un autre côté, après un recul de 5% en 2020, le chiffre d’affaires consolidé Marsa maroc a enregistré une progression de 30,3% à 3.592 millions de DH en 2021 par rapport à 2020 grâce à la croissance du trafic consolidé, malgré la crise sanitaire.

La marge opérationnelle, quant à elle, est passée de 27,5% en 2020 à 31,4% en 2021. À noter que le dividende proposé par le directoire et soumis à l’approbation du Conseil était de 7,2 DH par action pour 2021, contre 8 DH par action en 2020 avec un rendement en dividende (D/Y) de 5,2% en 2019 contre 5,56% en 2018. Au-delà des considérations financières et du choix stratégique de l’opération, nul ne peut nier aujourd’hui l’importance de l”equity story” dans le succès d’une IPO (Initial Public Offering-introduction en bourse).

Ceteris paribus, je pourrais dire que l’amélioration des bonnes pratiques de gouvernance au niveau des entreprises introduites, qu’elles soient publiques ou privées, conditionne leur évolution dans l’aftermarket.

– Concrètement, quel est l’intérêt d’une introduction en bourse d’une entité publique ?

La présence des entreprises publiques dans le marché se veut un levier assurant la diversité des caractéristiques d’actionnariat et la structuration de l’équipe de management. Elle permet à l’entreprise concernée de lever les fonds nécessaires à sa croissance et à son équilibre financier par émission des titres. C’est également une décision stratégique ayant un impact sur l’image et la notoriété de l’entreprise auprès de ses différentes parties prenantes et un levier de mobilisation de l’épargne publique au profit des opportunités d’investissement offertes par les entreprises cotées.

Sur le plan de la politique de dividendes, les études scientifiques montrent que les entreprises contrôlées par l’Etat disposent d’un ratio de distribution de dividende très élevé et adoptent également une stratégie dite “dividend smoothing”, consistant à ajuster les variations des dividendes sur celles des revenus futurs.

Ce ratio élevé induit, en conséquence, une attractivité reflétée dans l’amélioration du cours boursier et de la valeur boursière de l’entreprise. Une IPO permet aussi à l’entreprise publique de renforcer ou de consolider sa structure financière, en finançant ses investissements à un coût relativement moins cher. Concernant la structure de leur capital, l’introduction en Bourse constitue une occasion pour optimiser les coûts de financement des entreprises publiques et relativiser leur dépendance par rapport au budget de l’Etat.

De même, l’ouverture du capital des publiques est associée à une meilleure valorisation des actifs de l’Etat. A titre d’exemple, l’IPO réalisée par Marsa Maroc en juillet 2016 a enrichi la cote d’un volume mensuel de 516,44 millions de dirhams (MDH).

Dans une autre perspective, l’introduction en Bourse des entreprises publiques constitue une occasion pour évaluer le coût de financement de leurs investissements et de faire un arbitrage entre endettement international et financement sur le marché boursier pour réduire la pression disciplinaire exercée par les bailleurs de fonds internationaux.

Sur le plan stratégique et décisionnel, l’entreprise publique cotée aura un accès aux ressources cognitives et aux compétences des membres de son conseil d’administration, des sociétés de bourses et des acteurs diversifiés permettant d’en assurer une efficience décisionnelle et une agilité organisationnelle.

Au niveau macroéconomique, la présence des entreprises publiques dans le marché boursier permet également aux autorités monétaires d’agir sur le niveau d’inflation, en raison de la relation entre l’inflation et la distribution de dividendes, prouvée par des études pionnières dans des contextes occidentaux.

D’ailleurs, le développement des marchés de capitaux dans une perspective du Nouveau modèle de développement du Royaume, dans le but de positionner le Maroc comme un hub financier de référence dans la région, devrait s’appuyer, entre autres, sur l’élargissement de la base d’émetteurs et d’investisseurs à travers l’introduction en bourse d’entreprises publiques et la révision des conditions d’introduction en bourse pour certaines catégories d’entreprises.

– Quel est l’impact de ces introductions sur la Bourse ?

Je trouve que la présence de l’Etat dans le capital des entreprises cotées est un levier systémique pour instaurer une confiance entre les acteurs du marché boursier; un mécanisme pour aligner les intérêts et un moyen pour réduire l’asymétrie informationnelle entre les investisseurs et les dirigeants.

L’introduction en bourse des entreprises publiques constituera une occasion d’examiner et d’améliorer le système de gouvernance par un retour d’expérience sur l’adoption des recommandations des codes de bonne gouvernance par les entreprises cotées à capital sous le contrôle de l’Etat.

D’autre part, l’introduction en Bourse permet également aux entreprises publiques de renforcer leur degré de transparence et d’adopter une culture de communication financière et du reporting, mettant ainsi en pratique à la fois les recommandations du Code Marocain de bonnes pratiques de gouvernance d’entreprise et celui des entreprises et établissements publics.

Ajoutant à cela, le rôle stratégique que joue l’adoption et le respect des normes et des pratiques mises en place par l’Autorité Marocaine du Marché des Capitaux (AMMC) et d’autres acteurs financiers nationaux et internationaux, à l’instar de l’IFC (International Finance Corporation), du Comité de Bâle et des sociétés de bourse etc.

En outre, la présence des entreprises publiques dans les places boursières pourrait constituer une occasion pour tenir une communication en matière de RSE, témoignant du niveau de l’engagement social, sociétal et environnemental des entités contrôlées par l’Etat. En effet, la logique de l’entreprise privée est une logique de productivité et d’efficience.

L’introduction en bourse permettra aux entreprises publiques de contribuer amplement à la croissance et l’élargissement de l’assiette fiscale du Royaume. Elle permet aussi d’accompagner l’orientation de l’ouverture du Royaume sur ses racines africaines par une meilleure synergie entre le secteur public et son homologue privé visant à exploiter les opportunités d’affaires et d’investissement offertes par le continent africain.

Bien entendu, les avantages de l’introduction en Bourse des entreprises publiques ne prennent leur sens complet que dans la mesure où ils se conjuguent avec une logique de gouvernance stratégico-financière permettant au management de canaliser l’épargne vers les entreprises et de créer la richesse au service du Royaume.

Voir aussi:

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Youness AKRIM