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Durabilité du textile : interview avec le responsable régional en charge de l’investissement à l’IFC, Thomas Pellerin

Propos recueillis par Manal Ziani.

Le responsable régional en charge de l’investissement à la Société financière internationale (IFC), Thomas Pellerin, a accordé une interview à la MAP, sur les principales mesures pour promouvoir la circularité dans l’industrie marocaine du textile, les efforts déployés par l’IFC pour favoriser la transition verte de ce secteur ainsi que sur le rôle des prochaines Assemblées annuelles du Groupe de la Banque mondiale (GBM) et du Fonds monétaire international (FMI), prévues en octobre prochain à Marrakech, dans le positionnement du Maroc en tant que plateforme industrielle verte et compétitive.

1- L’IFC vient de réaliser une étude thématique sur la circularité dans l’industrie marocaine du textile. Quelles en sont les principales conclusions ?

Les principales conclusions de cette étude sont les suivantes :

• Il est impératif et urgent de mettre en place la récupération systémique des déchets postindustriels, et d’établir des usines modernes de collecte et de recyclage à plus grande échelle ;

• Il faut bâtir localement une filière amont (fil, tissu, impression, teinture) qui assure la traçabilité pour les marques, et accroître la collaboration entre les entreprises locales en amont de la chaîne pour satisfaire aux règles d’origine et de transformation pour l’accès préférentiel à l’Europe ;

• Créer de nouveaux partenariats avec des acheteurs qui appuieront la transition du secteur d’un modèle CMT(coupe-assemblage-finition/Cut, Make and Trim) à un modèle full production package ; un enjeu dont l’Association Marocaine des Industries du textile et de l’Habillement (AMITH) se saisit pleinement et activement ;

• Collaborer étroitement avec les représentants de l’UE ici au Maroc pour obtenir des conseils et le cas échéant solliciter des financements ; et

• Investir dans l’innovation et la technologie pour appuyer cette transition verte.

Bien que ces mesures demandent des efforts considérables, le Maroc est bien placé pour réussir cette transition, en particulier grâce à la prise de conscience pleine et entière de tous les acteurs du secteur, autant privés que publics, et leur étroite collaboration.

2- Dans quelle mesure la promotion de la circularité dans l’industrie du textile s’inscrit-elle dans la stratégie IFC d’appui à la décarbonation au Maroc ?

Le secteur textile est prioritaire pour l’IFC au Maroc. L’appui à la transition vers le circulaire s’inscrit directement dans la lignée de nos actions stratégiques d’appui à la décarbonation de l’industrie dans le pays.

Plus généralement, la relance verte du Maroc est l’un des piliers de la stratégie d’IFC pour le pays.

En avril dernier, IFC a signé un accord de “prêt vert” de 100 millions d’euros avec OCP pour la construction de quatre centrales solaires pour permettre à OCP de réduire son empreinte carbone et d’accroître sa production d’engrais verts. Un prêt vert est une forme de financement qui met à disposition des fonds pour financer des projets verts remplissant les conditions requises et contribuant à la réalisation d’objectifs environnementaux tels que l’atténuation du changement climatique ou l’adaptation à celui-ci.

En matière de finance durable, IFC a émis en 2017 le premier green bond en devises au Maroc via la Banque Centrale Populaire (BCP), et a soutenu l’Autorité Marocaine du Marché des Capitaux (AMMC) pour la mise en place du guide technique des émissions d’obligations vertes.

Les obligations durables permettent le financement de projets qui ont un impact sur le changement climatique (obligations vertes) et un impact social (obligations sociales). C’est un guide complet sur les outils de financement de la durabilité, nouveaux instruments financiers visant à lutter contre les changements climatiques et à promouvoir l’inclusion sociale au Maroc.

IFC continue d’accompagner le secteur financier en s’associant à Bank al-Maghrib (BAM) pour développer un cadre sur les risques climatiques et accompagner deux banques marocaines sur ce sujet.

En ce qui concerne la décarbonation, nous avons accordé, en 2020, le premier prêt non souverain à la région de Casablanca pour l’extension de son tramway et pour soutenir la mobilité verte. Nous avons, par ailleurs, soutenu l’innovation et les start-ups engagées dans la lutte contre le changement climatique avec notre programme d’accompagnement du Cluster Solaire. Nous contribuons au développement d’un marché des technologies en faveur du climat au Maroc afin de créer des emplois tout en aidant le pays à atténuer et réduire les risques climatiques.

Les chantiers en cours portent sur le développement d’éco-parcs industriels (notamment dans la région de Tanger), et la promotion de l’efficacité des ressources (resource efficiency) dans le secteur pharmaceutique.

3- Pouvez-vous revenir plus en détail sur les efforts déployés par l’IFC pour favoriser la transformation du secteur textile marocain vers plus de durabilité et de circularité ?

Près de 78 milliards de dollars sont nécessaires pour verdir l’industrie marocaine et mobiliser l’investissement, en faveur, entre autres, d’un textile durable et compétitif, selon la Banque mondiale. Cela représente un investissement annuel de 3.5% du PIB d’ici 2050. C’est au cœur de la stratégie d’IFC au Maroc.

Il est nécessaire que le secteur marocain du textile et de l’habillement évolue pour tirer parti des possibilités offertes par la restructuration des chaînes logistiques mondiales et tienne compte des exigences que le pacte vert pour l’Europe – un ensemble de mesures visant à engager l’UE sur la voie de la transition écologique – imposera aux produits importés dans l’UE d’ici à 2030, en particulier celles spécifiant que les produits textiles doivent autant que possible être fabriqués à partir de fibres recyclées.

Compte tenu du fait que l’IFC est la plus grande institution mondiale de développement axée sur le secteur privé dans les pays en développement, il nous incombe d’apporter un accompagnement unique sur trois plans principaux :

• Nous devons jouer un rôle fédérateur pour mobiliser tous les acteurs, domestiques et internationaux ;

• Nous devons fournir un appui technique et une expertise sectorielle pour aider l’ensemble du secteur à prendre le train de la circularité ; et

• Nous devons apporter un accompagnement financier direct aux leaders du marché – pas uniquement en termes de taille d’investissements mais également en termes de leur capacité d’innovation et de transformation du secteur.

4- Bien que nous soyons toujours au début du processus de transformation du secteur vers des modèles de production durables et circulaires, quels sont selon vous les principaux accélérateurs de cette transition ? Quelles sont les actions prioritaires à engager ?

Pour comprendre ce que cette transition vers un modèle de production circulaire représente, il faut visualiser ce changement de paradigme : visualiser le modèle linéaire actuel de production, dans lequel chaque acteur de la chaîne de valeur joue son rôle à un instant T, et de nouvelles matières premières sont constamment introduites dans la filière pour ressortir en produit fini.

Une fois ce modèle linéaire visualisé, il faut imaginer s’en saisir et en dessiner un cercle dans lequel chaque acteur de la filière remplit son rôle aux côtés des autres, et le moins de nouvelles matières premières possible sont introduites dans la production, car la collaboration entre tous les acteurs permet la réutilisation des ressources.

Pour cela, il est impératif que tous les acteurs soient présents dans ce cercle : les fabricants (chaîne et trame, maille, denim) ; les collecteurs de déchets textiles (formels et informels) ; les trieurs ; les recycleurs (coton, poly et mixtes) ; les fileurs et les tisseurs ; ainsi que les acheteurs.

La force de ce système est qu’il donne un rôle crucial à chacun de ces acteurs. Son équilibre repose, toutefois, sur la participation de tous. La transition circulaire ne se fera que par la collaboration et la fédération des efforts, des expériences et des expertises. La transition circulaire repose sur une vision et un engagement commun pour positionner le Maroc comme un partenaire vert, durable et incontournable pour les acheteurs internationaux.

C’est la raison pour laquelle IFC vise à accompagner cette transformation en fédérant.

A ce titre, nous avons lancé un groupe de travail, le Tanger Circularity Exchange, pour rassembler autour d’une même table tous ces acteurs. Nous œuvrons à la mise en place d’actions concrètes pour amorcer cette transition circulaire: Définir des actions pilotes, renforcer les mécanismes de tri et de collecte des chutes textiles, définir l’offre de textile circulaire que le Maroc peut fournir, réfléchir à l’intégration des plus petits fabricants dans cette filière de recyclage, etc. Une première réunion est prévue à Tanger d’ici à octobre 2023.

Par ailleurs, en avril 2023, nous avons signé un accord de coopération avec le ministère de l’Industrie et du Commerce du Maroc et l’AMITH pour promouvoir, ensemble, la transition du secteur, tout en renforçant la place du Maroc dans les chaînes logistiques mondiales. Cet accord permettra entre autres de jeter les bases d’une filière de recyclage du textile post-industriel et de mobiliser l’investissement privé pour faire du textile au Maroc une industrie plus durable.

5- Les Assemblées annuelles du GBM et du FMI se tiendront en octobre à Marrakech. Parlez-nous des préparatifs d’IFC à cette occasion et comment cet événement pourra contribuer au positionnement du Maroc en tant que plateforme industrielle verte, compétitive et connectée à l’Afrique et au reste du monde ?

Les prochaines Assemblées annuelles du GBM, dont IFC est membre, et du FMI sont les premières en Afrique depuis plus d’un demi-siècle. Il nous tient, donc, à cœur de mettre le changement climatique – un enjeu phare pour le Maroc et le continent – au centre des discussions.

C’est là une occasion unique pour IFC de mettre en lumière les succès du développement du secteur privé au Maroc et à travers l’Afrique, ainsi que les domaines potentiels de développement, comme la circularité dans l’industrie du textile, pour atteindre ses objectifs de décarbonisation.

La crise du climat présente un défi à relever pour l’agriculture et l’industrie du Maroc mais également une opportunité pour positionner le pays comme plateforme industrielle verte et compétitive connectée à l’Afrique, à l’Europe et aux Amériques.

Force est de constater que le Maroc est déjà un champion de l’économie verte. Il peut, par ailleurs, être un champion du développement de la production circulaire. IFC se tient prêt à soutenir ce développement grâce à ses capacités d’accompagnement technique et financier.

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