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Emploi des jeunes: 03 questions au professeur, Aomar Ibourk

Casablanca, Le professeur de méthodes quantitatives et d’économie sociale à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech et Senior Fellow au Policy Center for the New South (PCNS), Aomar Ibourk, expose, dans un entretien à la MAP, les défis que présentent l’insertion professionnelle des jeunes au Maroc, notamment ceux hautement qualifiés.

1. Tout d’abord, quel est l’état des lieux du marché du travail au Maroc ?

Le marché du travail au Maroc connait de multiples mutations, tant au niveau de l’offre et de la demande qu’au niveau du fonctionnement.

En ce qui concerne l’offre, la caractéristique principale est la transition démographique avancée qui engendre une forte demande sociale pour l’emploi décent. Or, cette offre est d’une qualité qui demeure faible malgré une amélioration des qualifications.

Pour une grande part, ces emplois font défaut en termes de qualité comme c’est reflété par le pourcentage des emplois vulnérables (48,1% en 2019) ou encore la part des emplois informels qui s’est élevée à 28,7% du volume total des emplois en 2014.

Aussi, la structure de l’emploi est marquée par une tertiarisation progressive et des mutations sectorielles en faveur d’une ascension de la productivité.

La confrontation des tendances de l’offre et de la demande, y compris la croissance, son contenu en emploi et ses moteurs sectoriels, fait ressortir la présence de plusieurs gaps, quantitatifs et qualitatifs.

Il s’agit de trois grands déséquilibres: le chômage, notamment des jeunes, des diplômés et des femmes, le découragement et l’inactivité, ainsi que la naissance d’une nouvelle génération de jeunes NI-NI (ni en emploi, ni en éducation ou en formation).

Pour ce qui est de l’impact de la Covid-19, le confinement a eu un impact imbriqué sur les différents agents économiques (Ménages, entreprises, secteur financier, etc.).

Ainsi, la demande du travail a été négativement touchée à cause des impacts sur la croissance et la production sectorielle, le fonctionnement des entreprises (des arrêts temporaires et définitives de l’activité; des baisses importantes en matière de ventes ; des problèmes à différents niveaux de l’activité, y compris la logistique, les chaines d’approvisionnement, les plans d’investissement, les plans de communication le paiement des salaires et les besoins de trésoreries; et de grandes risques de défaillances) et l’emploi sectoriel.

L’impact sur l’offre s’est traduit, de son côté, via trois principales manifestations : le chômage, la baisse de la durée du travail et la baisse des revenus.

2. Quels sont les défis face à l’insertion professionnelle des jeunes ?

Le marché du travail marocain est en phase de mutations multiples, y compris une transition démographique engendrant une hausse des parts de jeunes demandeurs d’emploi. Cette transition démographique offre une opportunité remarquable pour le développement.

Or, l’effet du dividende démographique n’est pas mécanique, il reste subordonné à la capacité d’accélérer le processus des réformes en mesure d’améliorer le capital humain et partant la productivité du travail. Il s’agit de :

– L’éducation et les compétences ;

– La santé et le bien être ;

– La qualité des institutions ;

– L’inclusion des jeunes ;

– L’intégration économique des femmes, etc.

Toutefois, les politiques touchant le capital humain ne seraient efficaces qu’en la présence d’une demande adéquate en quantité et en qualité. Or, la croissance économique au Maroc est de moins en mois créatrice d’emplois.

Cependant, cette analyse agrégée cache des septicités sectorielles et régionales d’où la nécessité de désagréger l’analyse de la relation croissance emploi. Une telle désagrégation indique l’essoufflement de certains secteurs porteurs d’emplois comme le secteur agricole, et de l’industrie du textile.

Aussi, le panier de consommation globale est composé principalement soit des secteurs destructeurs d’emploi (le cas du secteur primaire), soit de secteurs en perte de vitesse comme les BTP, ou de secteurs à fort potentiel de création d’emploi, mais dont le poids sur le marché de travail est, jusqu’à maintenant, minime.

Une transformation structurelle en faveur de la création d’emploi productif et décent est alors nécessaire pour promouvoir l’insertion professionnelle des jeunes.

Il est fondamental que les pouvoirs publics adoptent un ensemble de réformes combinant à la fois l’amélioration du cadre macroéconomique et l’environnement de l’investissement pour accroître la quantité et la qualité d’emplois disponibles, mais également la valorisation du capital humain pour en faire un facteur de production stimulant une croissance économique génératrice d’emplois qualifiés et décents et enfin la gouvernance du marché du travail en renforçant la qualités de ces institutions.

3. Que pensez-vous de la problématique des jeunes chômeurs hautement qualifiés au Maroc ? Comment y remédier ?

La question du chômage des jeunes hautement qualifiés au Maroc est des plus complexes. Elle résulte de ce que nous avons évoqué précédemment; mais quatre dimensions revêtent une importance particulière:

I. L’encouragement de l’entrepreneuriat et amélioration du climat des affaires

– Promouvoir la mobilité [liberté] des facteurs et l’investissement en améliorant certaines composantes du climat des affaires;

– Améliorer de l’efficience des marchés des biens et services, du travail, et du marché financier ;

– Améliorer la qualité des institutions : des progrès ont été réalisés, mais demeurent insuffisants.

II. L’amélioration de la qualité et l’adéquation du capital humain est essentielle pour promouvoir la productivité, l’innovation et réduire l’inadéquation des compétences. A cet effet, il est essentiel que le Maroc mette en œuvre une série de réformes de son système éducatif et de sa réglementation du marché du travail.

Le renforcement de la qualité du système éducatif peut aussi être susceptible d’accélérer le processus de transformation industrielle du pays et de contribuer à une augmentation durable du taux de croissance économique.

Il est nécessaire de mettre en place des politiques visant à stimuler la productivité de la main-d’œuvre existante, en renforçant le système de formation continue et en augmentant les investissements dans les infrastructures avancées et en apportant un soutien public accru aux activités de R&D.

La qualité de la main-d’œuvre joue aussi un rôle important dans la promotion de l’investissement étranger direct, qui peut à son tour conduire au développement d’une série de nouveaux secteurs à forte valeur ajoutée ;

III. Le marché du travail marocain est soumis à de nombreuses distorsions, largement liées aux caractéristiques institutionnelles et réglementaires de ce marché :

– Un salaire minimum élevé par rapport au revenu par tête,

– De fortes restrictions au licenciement,

– Des coûts non salariaux élevés,

– Un processus d’adéquation des emplois dont l’efficacité n’a pas été démontrée,

– Des syndicats à fort pouvoir de négociation.

Ces distorsions contribuent aux coûts élevés de la main-d’œuvre et à la rigidité à la baisse des salaires réels. Ces distorsions contraignent également l’ajustement du marché du travail et demeurent une contrainte majeure pour la croissance et la création d’emplois, contribuant ainsi à un chômage élevé (en particulier pour les jeunes), tant directement qu’indirectement.

IV. La promotion de l’innovation et de la diversification économique:

– Préparation des économies à l’adoption et l’usage des technologies

– Promouvoir l’absorption et du transfert technologique au niveau des entreprises

– Encourager de l’usage des TICs

– Encourager l’innovation, la R&D, la collaboration université-industrie, et les PPP.

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Karima EL OTMANI

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Kawtar Chaat