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Interview avec le président du Conseil de la Concurrence

Propos recueillis par Malika Mojahid.

Le Conseil de la concurrence a publié récemment la décision portant sur les opérations de concentration économique réalisées sans notification auprès du conseil. Dans une interview accordée à la MAP, le président du Conseil de la Concurrence, Ahmed Rahhou, revient sur l’importance de la notification des opérations de concentrations, explique cette procédure et nous éclaire sur les modifications apportées à la procédure de régularisation amiable des concentrations non-notifiées, lancée par son Conseil.

• Vous avez déclaré la guerre aux entreprises qui violent l’obligation de notification des opérations de concentrations économiques avec de lourdes amendes. Pourquoi faut-il notifier les concentrations économiques auprès du Conseil de la Concurrence ?

Nous n’avons déclaré la guerre à personne. La loi 104-12 relative à la liberté des prix et de la concurrence prévoit un contrôle à priori lorsque deux entreprises différentes créent une société commune. Conformément à cette loi, qui s’applique à tous, il faut avoir l’accord préalable du Conseil de la Concurrence.

Ladite loi qui régule les prix, la concurrence et par conséquent les concentrations n’est pas très bien connue. C’est ce que nous avons relevé et c’est ce qui nous a amené à lancer une opération de pédagogie au profit des entreprises pour respecter les orientations en matière de la concurrence et la liberté des prix mais aussi les opérations de concentrations.

La Loi prévoit une sanction qui peut être relativement importante. Dans notre esprit de conciliation et de pédagogie nous avons ouvert la voie de la régularisation à l’amiable sans atteindre le maximum des pénalités prévues par la Loi avec un arrangement qui permet à tout un chacun d’être conforme à la loi.

Notre objectif n’est pas de sanctionner mais que les entreprises respectent la loi 104-12.

Ainsi, nous avons établi un guide de la conformité légale par rapport à la concurrence que nous avons largement diffusé à travers la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) et les fédérations.

Concernant les concentrations, il y avait celles qui ont été faites sans l’aval du Conseil de la concurrence. Donc nous ouvrons cette possibilité de régulation importante dans un sens vraiment amiable.

• Quelles sont les conditions pour autoriser une concentration économique ?

Les opérations de concentrations économiques constituent des sources potentielles de création de situation monopolistique ou d’abus de position dominante. A cet effet, le Conseil de la concurrence analyse tout d’abord si cette opération de concentration peut avoir un effet de nuisance sur le marché ou pas.

A chaque opération qui nous est notifiée, nous publions un communiqué pour informer toutes les parties prenantes et leur demander si cette opération peut créer des nuisances sur un marché, dans le sens de la loi et des règles de la concurrence, car il ne s’agit pas de défendre les intérêts d’une partie ou d’une autre.

Les parties prenantes ont en général 10 jours après la publication du communiqué pour informer le Conseil de la concurrence de leurs doléances et de leurs remarques.

Nous écoutons tout le monde, ensuite nous décidons si cette concentration peut avoir lieu ou pas.

Le conseil peut soit refuser ou accepter l’opération en question, ainsi l’entreprise est en règle avec la loi, soit il mène une enquête approfondie qui aboutit à une décision positive ou négative, soit il donne son accord mais avec des conditions.

Par exemple, le conseil va donner son accord à une entreprise pour prendre des parts de marché relativement significatives mais à condition de céder des marchés ou une partie de son activité ou même restreindre son intervention pendant une certaine durée.

Cette procédure de notification permet de répondre à une préoccupation importante des investisseurs, à savoir les concurrents existants sur un marché.

Ceci passe à travers une étude du marché, sur la base de laquelle le Conseil peut définir la notion de “marché pertinent”, c’est-à-dire sur quel marché on agit et calculer les parts de marché pour déterminer les opérateurs qui dépassent les 40% des parts de marché, selon les normes internationales.

La notion de part de marché et la connaissance des opérateurs de ce marché sont très importantes. Ces études ou monographies sectorielles constituent des informations très utiles pour les investisseurs.

• Le Conseil de la concurrence a apporté récemment des modifications à la procédure de régularisation. Éclairez-nous sur ces modifications ?

Lancée en juin, cette opération, qui prendra fin le 31 décembre de l’année en cours, constitue une solution offerte aux entreprises afin de leur permettre de régulariser le passé et mieux connaitre leurs obligations dans le futur.

On est là pour appuyer les entreprises et répondre à leurs sollicitations et leurs besoins juridiques.

La loi prévoit 5% du chiffre d’affaires, en cas de concentrations économiques non notifiées. Dans le cadre de cette opération de régularisation amiable, nous avons mis 1% plafonné c’est-à-dire ça ne dépasse pas un certain montant même lorsqu’une entreprise ou un groupe a plusieurs opérations.

Quand il y a des cas de création d’entreprises communes, sans réalisation de chiffre d’affaires, la pénalité n’est pas calculée sur le CA des deux entreprises mais sur un plafond de 500.000DH pour régulariser la situation.

Nous avons créé les plafonds pour sécuriser les opérateurs. Pour un groupe qui a un grand nombre d’opérations le montant total des pénalités peut être relativement important, donc nous avons mis un plafond de 4 millions de dirhams (MDH) pour une opération unique et de 10 MDH quel que soit le nombre d’opérations.

• Vous avez organisé récemment un atelier sur le rôle du pouvoir judiciaire dans l’application du droit de la concurrence. Quels étaient les objectifs de cet atelier ?

Avec la justice nous organisons une série d’ateliers avec l’apport d’experts internationaux. L’objectif est de partager avec les juges certaines connaissances, en matière de concurrence.

Nous voulons mettre en place une base de données de la jurisprudence mondiale, surtout européenne dans un premier temps parce qu’elle se rapproche le plus de notre législation.

L’objectif est de permettre un accès à une base de données sur laquelle les avocats d’affaires, les investisseurs, les membres du Conseil de la concurrence et les juges peuvent se référer pour traiter les différents cas.

La décision du juge reste établie en toute souveraineté. Cette base de données constituera un référentiel commun qui permettra une lecture correcte de la loi, eu égard sa complexité.

L’intérêt pour notre économie est de garantir aux investisseurs marocains et étrangers la même lecture des pratiques de la concurrence à travers le monde, ce qui lui donnera confiance dans le système et saura que si jamais il est confronté à une situation qui nécessite le recours au conseil de la concurrence ou à la justice, il va être traité selon les normes internationales.

La décision ultime appartient au Conseil de la concurrence et aux juges mais l’existence de cette base de données permettra une lecture correcte et une cohérence des textes qui nous régissent.

Nous approprions la jurisprudence pour aller de l’avant et donner de la transparence à notre marché par rapport à ces pratiques nouvelles.

Voir aussi:

Cours des devises étrangères contre le dirham

Zin El Abidine TAIMOURI

Tanger : Forum “Nexus eau-énergie-sécurité alimentaire”

MAVT: repli des souscriptions de 14,4%

Hicham Louraoui