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Immobilier : Interview avec l’expert Amine Mernissi

Propos recueillis par Kawtar CHAAT

L’expert en immobilier et auteur du guide “Répons’IMMO”, Amine Mernissi, a accordé une interview à la MAP, dans laquelle il s’exprime sur le potentiel, les enjeux et les perspectives du secteur immobilier national.

1. Quelle lecture faites-vous de la dynamique de l’investissement immobilier et locatif aujourd’hui au Maroc ?

La dynamique du marché immobilier soit d’acquisition soit de location n’est pas uniforme. Autrement dit, nous ne pouvons pas raisonner de façon globale à l’échelle nationale. Il y a ” plusieurs marchés immobiliers dans le secteur”, et donc différentes réalités… Il y a cependant de grandes lignes qui se dessinent et qui ont été dictées par les conséquences socio-économiques de la crise du Covid-19, puis de la guerre en Ukraine. Et l’une et l’autre, ont eu un impact sur le marché immobilier national. Fragilisation de la situation économique, rétention du pouvoir d’achat des ménages, hausse des prix, difficultés de financement, etc.

Dans ce climat morose teinté d’incertitudes, les indicateurs immobiliers, notamment l’indice des prix des actifs immobiliers (IPAI), les indicateurs de Bank Al-Maghrib (BAM) et de l’Agence Nationale de la conservation foncière, du cadastre et de la cartographie (ANCFCC)) pour l’année 2022 reflètent une diminution de 15,4% du nombre des transactions.

Il faut noter que cet indice ne couvre que les biens de seconde main. Par conséquent, il s’agit d’une vue partielle du marché. Car le marché du neuf connait quant à lui une situation plus difficile de l’avis même des professionnels (promoteurs, agents immobiliers, notaires,…). En ce qui concerne l’immobilier locatif, là encore, la crise étant là, de nombreux propriétaires ont mis sur le marché leurs biens à la location pour avoir un complément de revenus. Ce qui a conduit à une abondance de l’offre par rapport à la demande, mais également à un réajustement à la baisse des loyers compte tenu du pouvoir d’achat en baisse des preneurs.

2. Quelles sont les perspectives et les grandes tendances du secteur immobilier en 2023 ?

A l’heure où j’écris ces lignes, le secteur est encore suspendu aux décrets d’applications des logements dit à 300.000 DH et à 600.000 DH. Les deux produits que le gouvernement souhaite promouvoir grâce à une aide directe qui sera octroyée aux acquéreurs. Le marché attend beaucoup de ces deux types d’actifs : le premier pour remplacer le logement social (anciennement à 250.000 DH) et le second pour la classe moyenne. Si les professionnels emboitent le pas au gouvernement dans le lancement de ces deux produits, cela peut donner une impulsion au marché. Reste à résoudre l’équation de la rentabilité pour les promoteurs immobiliers, car il est bien évident aujourd’hui que compte tenu de la cherté des matériaux de construction entre autres, la viabilité de tels produits se pose. Au moins dans les grandes villes où le foncier est cher.

3. Quel impact aura la hausse des taux de crédit bancaire sur l’immobilier commercial et sur l’acquisition des biens immobiliers par les ménages ?

La hausse des taux bancaires aura un impact pour les nouveaux emprunteurs qui auront accès désormais à un crédit immobilier avec un taux d’intérêt plus élevé en raison de la hausse cumulée du taux directeur de 100 points de base depuis septembre 2022 à ce jour. Pour ceux ayant contracté un crédit immobilier avec un taux variable, ils verront également leur traite mensuelle révisée à la hausse. Par conséquent, ces éléments peuvent difficilement constituer des facteurs de relance de la demande pour l’immobilier, en raison du pouvoir d’achat des ménages déjà malmené par une inflation galopante et multisectorielle.

Cette hausse des taux d’intérêts aura également un impact sur les coûts des projets immobiliers et in fine sur le produit final. Et même sur la trésorerie et la capacité d’endettement des promoteurs immobiliers.

4. En termes de prêts immobiliers et de refinancement des dettes immobilières, les banques pourraient-elles être rattrapées par les resserrements financiers ?

Sur l’encours global des 1.000 milliards de dirhams (MMDH) environ de prêts octroyés à l’économie, le secteur de l’immobilier s’arroge la part du lion, avec près de 300 MMDH. Par conséquent, la forte exposition du secteur financier au secteur immobilier n’est pas un phénomène nouveau, et cela a d’ailleurs déjà été rappelé par le Wali de Bank-Al-Maghrib.

De là à dire qu’il est vulnérable je n’irais pas jusque-là, car notre secteur bancaire dispose de bases solides. Nous avons pu le constater notamment à travers diverses crises, comme celle du Covid où il a servi d’amortisseur et fait preuve de résilience. Ensuite, si l’immobilier connait des jours difficiles, du côté des grandes locomotives du secteur, elles continuent à honorer leurs engagements, peut-être en réduisant la voilure d’investissement ce qui est prévisible, mais elles font le dos rond et cela mérite d’être salué.

5. La dynamique des bureaux risque-t-elle de vivre une récession avec le boom du digital ?

Le boom du digital, le travail à distance et le coworking entre autres, qui ne sont pas des tendances nouvelles, ont rebattu les cartes de la dynamique du marché de l’immobilier d’entreprise. Il faut y voir aussi des opportunités d’investissement nouvelles. Car c’est d’adaptation qu’il s’agit. L’immobilier professionnel accueille les activités humaines, il ne les dirige pas, donc il a la nécessité de s’adapter aux nouveaux besoins et nouvelles offres.

Il faut certes repenser les espaces de travail, surtout depuis l’expérience Covid. Mais disons que les acteurs de l’immobilier d’entreprise sont aujourd’hui suffisamment au fait des évolutions et à l’écoute des besoins pour savoir y répondre et surtout les anticiper. Et puis enfin, s’il y a un marché immobilier qui est corrélé à la santé économique d’un pays, c’est bien celui du professionnel. Donc regardons du côté des chiffres de la croissance économique et de la création d’entreprises et nous aurons un petit aperçu de la conjoncture qui prévaut dans l’immobilier professionnel…

Voir aussi:

Ressources marines/Biodiversité : appel à mettre en œuvre des mesures de protection selon les particularités socio-économiques (COMHAFAT)

Manal Ziani

IBM Partenaire Technologique de la COP27

Bassma RAYADI

Microsoft: Le travail à distance permet de remédier aux inégalités entre les sexes

Youness AKRIM