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Interview avec le représentant de la BERD au Maroc

 

Propos recueillis par Zin El Abidine TAIMOURI.

Casablanca – Le nouveau Directeur de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), Antoine Sallé de Chou, a livré une interview exclusive à la MAP. Nommé en septembre dernier au poste de Directeur de la banque d’investissement pour le Maroc, M. Sallé de Chou revient sur l’historique des activités de la BERD au Royaume et se projette sur les perspectives de coopération à l’aune de la relance post-Covid.

1- Aperçu des activités de la BERD au Maroc (Chiffres)

Nous sommes parmi les derniers arrivés dans le paysage des bailleurs internationaux au Maroc, mais avons réussi en quelques années à nous hisser au rang de l’un des acteurs les plus actif en soutien au secteur privé et un partenaire de référence des grands projets d’investissement publics. Nous avons vocation à accompagner le Maroc dans son développement soutenable et inclusif, à travers nos trois lignes de métiers principales :

1/ le financement : depuis le début de nos activités en 2013, nous avons financé l’économie marocaine pour plus de 3 milliards d’euro, à travers 80 projets d’investissement. Nous proposons une large gamme de produits d’accompagnement financiers directs, en devises et en dirhams, en dette et en fonds propre, court et long terme, avec des tickets commençant autour de 1 million d’euros et pouvant aller jusqu’à plusieurs centaines de millions d’euros en fonction du profil des projets.

Nous nous concentrons en priorité sur l’accompagnement des secteurs où le Maroc présente des avantages comparatifs, tels que l’automobile, l’agroalimentaire, les industries manufacturières, le renouvelable, mais également bien d’autres.

Lorsque les montants d’investissement sont en dessous de nos seuils d’intervention directs, nous passons via nos partenaires bancaires, ce qui nous permet de toucher un très grand nombre de PME, partout dans le Royaume.

Nous avons ainsi développé des lignes de financement pour près de 1 milliards d’euros, dédiées aux segments de marché que l’on pense encore sous-servis par les financements classiques, tels que les femmes entrepreneurs, les jeunes, les projets verts, la digitalisation ou le soutien au commerce extérieur, avec pour objectif de démontrer l’attractivité et le risque mesuré de ce type de projets et catalyser de nouveaux investissements.

Nous avons également accompagné les grands projets d’infrastructures du Maroc ces dernières années, sur lesquels nous avons déployé 1,4 milliards d’euros, aux côtés d’opérateurs privés dans le secteur des renouvelables et des mines par exemple, ainsi qu’en soutien aux grands programmes d’investissement publics, tels que pour l’électrification rurale, l’irrigation des plaines du Saiss et du Garet, ou le développement du port de Nador West Med.

2/ l’assistance technique aux PME, via notre programme financé par l’UE, pour adresser les problèmes organisationnels et opérationnels des entreprises. Nous avons ainsi accompagné plus de 700 PME, sur tout le territoire marocain, à travers nos trois bureaux de Casablanca, Tanger et Agadir. Les résultats sont probants : la plupart des PME qui bénéfice de ce programme ont démontré une augmentation de leur productivité et de leur chiffre d’affaires, de l’ordre de 40% en moyenne, permettant de créer plus de 4.000 emplois et de réduire leur facture énergétique de 12% la première année.

3/ l’appui aux politiques publiques: nous sommes partenaires des autorités sur un nombre important de réformes économiques clés, tels que la modernisation des entreprises publiques, l’accélération de la production en énergie renouvelables, les PPPs, le développement des marchés de capitaux, l’inclusion financière des jeunes, des femmes et de populations rurales, ou l’accès aux compétences.

2- En tant que nouveau Directeur de la BERD pour le Maroc, quelles sont les priorités de votre mandat ?

Trois mots clefs pour le mandat de la banque: vert, inclusif et digital. Ce sont les grandes priorités dessinées par nos actionnaires lors de notre dernière Assemblée Annuelle, et qui s’inscrivent parfaitement dans les orientations du Nouveau Modèle de Développement.

Vert : Nous sommes en pleine COP26 à Glasgow, et le gouvernement a réaffirmé l’ambition du Maroc en matière de décarbonation de son économie. Le Royaume a indéniablement une place de leader dans la région en la matière, mais beaucoup reste à faire, et vite.

Car si c’est certes un enjeu environnemental global, c’est avant tout une question de compétitivité pour le Maroc, avec des prix de l’électricité encore 20% supérieur à ses concurrents, une intensité énergétique deux fois supérieure à la moyenne européenne et demain une taxe carbone qui va être imposée aux frontières de son premier marché d’exportation.

A cet égard, nos financements ont permis depuis 2014 une réduction de 730 000 tonnes d’équivalent de CO2 et nous souhaitons rester un partenaire privilégié de cette ambition. Nous pouvons soutenir via nos financements, à l’instar des lignes GEFF que nous venons de lancer avec BMCE et CIH (avec d’autres banques à venir prochainement) qui viennent élargir notre programme MorSEFF, pour financer des projets d’efficacité énergétique, d’énergie renouvelable à petite échelle et de gestion de déchets et de l’eau, ou bien par exemple notre financement le mois dernier de 110 millions de dirhams pour Dolidol pour une unité de recyclage de bouteilles en plastique, qui va permettre à l’entreprise de réduire de 11,000 tonnes par an ses émissions de CO2.

Nous souhaitons également accompagner la montée en puissance des énergies renouvelables, et proposer à la fois notre expertise pour développer un cadre réglementaire attractif, à travers notamment l’amendement de la loi 13-09 et l’ouverture de l’accès à la moyenne tension, mais également via nos financements de grands projets éolien, solaire et demain d’hydrogène vert.

Enfin, c’est toute l’infrastructure de transport et les services municipaux qu’il faut décarboner, et nous avons également ici une grande expertise, notamment à travers notre programme Ville Verte, que nous souhaitons déployer au Maroc.

Inclusion : Nous souhaitons accélérer notre soutien aux femmes, aux jeunes et aux populations rurales. Nous allons lancer prochainement une nouvelle forme de notre programme de financement Women in Business, qui proposera des lignes de financement bonifiées aux femmes entrepreneurs, soutenu par des assistance techniques pour le développement de leurs entreprises et du mentorat, ainsi qu’un appui technique aux banques pour les aider à adapter leurs offres de service aux femmes entrepreneurs, en complément du programme gouvernemental Intelaka.

Un instrument similaire, à destination des jeunes, sera lancé dans les mois qui viennent. Nous complétons par ailleurs la plupart de nos investissements pour les grandes entreprises avec des programmes de renforcement des compétences, en coopération avec les centres de formation, qui permettent de mieux aligner les programmes avec les besoins précis de ces filières techniques.

Enfin, nous sommes persuadés que la régionalisation avancée constitue un levier puissant d’inclusion régionale. Nous pouvons accompagner les régions et les municipalités dans leur programme d’investissement, et les aider à se doter des ressources nécessaires pour pleinement jouer leur rôle de planification régionale.

Digitalisation : La crise du covid-19 a démontré l’importance du digital pour les PME marocaines afin de pouvoir faire face au choc. Aujourd’hui, des efforts sont encore à déployer pour accélérer le rythme de la digitalisation des entreprises marocaines, notamment en matière de leur offre e-commerce, de leurs processus internes, de la gestion de leurs chaînes d’approvisionnement, mais aussi de leurs compétences.

Nous estimons les besoins des TPME marocaine en investissement digital à 10 milliards d’euros. Nous sommes en préparation d’instruments de financement dédiés, pour les PME, les grandes entreprises, en complément des programmes publics, mais également en soutien à l’infrastructure digitale. Parallèlement, nous constatons comme dans beaucoup d’autres domaines, une inadéquation entre les formations et les besoins du secteur privé. En 2019, 2.000 emplois digitaux n’ont pas trouvé preneurs, alors que la même année 2.500 diplômes en informatiques ne trouvaient pas de travail. Nous souhaitons aider à réduire cet écart.

Enfin, les 10, 11, 12 mai prochains seront un temps fort pour notre activité au Maroc, avec les premières Assemblée Annuelles en physique post-COVID de la BERD, qui se tiendront à Marrakech. Des délégations officielles et d’investisseurs de nos 72 pays et institutions actionnaires sont attendus. Ce sera une occasion privilégiée pour le Maroc de mettre en avant sa résilience, son attractivité, et son Nouveau Modèle de Développement.

3- Comment la BERD peut-elle accompagner le Maroc dans sa relance Post-Covid ?

Nous avons été la première institution financière internationale à développer une réponse opérationnelle dédiée, pour aider nos pays d’opération à faire face aux conséquences économiques de la pandémie, avec notamment la mise en place d’instruments spécifiques de financement de liquidité, pour les entreprises, les banques et les établissements publics.

Au Maroc, nous avons ainsi fourni 140 millions d’euros au secteur bancaire pour faire face à l’assèchement de la liquidité durant les confinements, ainsi que 300 millions d’euros pour l’ONEE, l’ONDA et ADM, afin de soutenir ces trois secteurs dont l’activité a été particulièrement affectée par la crise sanitaire.

Les entreprises sortent de la crise affaiblies, avec des niveaux d’endettement élevés et des bilans fragilisés. Cela va peser sur leur capacité d’investissement, ainsi que sur la possibilité pour le secteur bancaire de pleinement jouer son rôle de soutien à la reprise.

Nous pouvons accompagner le renforcement des entreprises et des banques, à travers nos différents outils de financement, y compris en fonds propres. Par ailleurs, nous sommes convaincus que la crise a créé des opportunités pour le Maroc, notamment en matière de reconfiguration des chaînes d’approvisionnement internationales, en particulier industrielles. Nous pouvons jouer un rôle pour aider les entreprises à pleinement saisir ces opportunités.

Enfin, les axes vert, inclusion et digital que je mentionnais représentent les grands défis de l’après-COVID, et vont requérir une mobilisation accrue de l’investissement privé comme le souligne le Nouveau Modèle de Développement. Ceci est pleinement en ligne avec notre mandat et notre expertise, et nous comptons être un partenaire clef du Maroc dans ces domaines.

4- Que pensez-vous du programme du gouvernement dans son aspect économique ?

Le programme économique du gouvernement (le nouveau modèle du développement et ses stratégies subsidiaires) offre une vision ambitieuse et une stratégie compréhensive pour attaquer les principaux défis auxquels le pays est confronté dans son développement.

Ces défis font aussi l’objet du rapport conjoint sur le développement du secteur privé lancé récemment par la BERD, la BEI et la BAD.

La BERD est actuellement en train de planifier sa prochaine stratégie quinquennale et nous sommes très heureux de constater qu’il existe de nombreux chevauchements dans les domaines clés, tels que le développement du secteur privé, l’inclusion économique et la durabilité.

Nous sommes prêts à accompagner le gouvernement dans la mise en œuvre de cette stratégie, et notamment à dynamiser le secteur privé pour devenir le moteur d’une croissance accélérée, à travers nos instruments de financement ainsi que l’appui technique.

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