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Nouveau programme d’investissement vert de l’OCP: Quel impact sur la transition énergétique au Maroc ?

Propos recueillis par Manal ZIANI.

L’expert en énergie Amin Bennouna a livré un entretien à la MAP où il analyse l’impact du nouveau programme d’investissement vert (2023-2027) du groupe OCP sur la transition énergétique au Maroc. En voici la teneur:

Quelle est l’importance du programme d’investissement vert du groupe OCP (2023-2027), présenté devant SM le Roi Mohammed VI samedi dernier, en matière du développement de la filière de l’hydrogène vert au Maroc et le renforcement de sa transition énergétique ?

L’ensemble du nouveau plan d’investissement de l’OCP présenté à Sa Majesté permettra d’accompagner la croissance future de l’OCP dans une approche complètement durable:

– Pour satisfaire ses besoins en eau, l’OCP ne fera plus appel aux eaux conventionnelles, ce qui libérera des ressources pour satisfaire le reste des besoins en eau (irrigation et eau potable) d’un Maroc qui est déjà sous un énorme stress hydrique.

– Les eaux conventionnelles mobilisées (dessalement d’eau de mer et traitement des eaux usées) seront toutes générées en utilisant des énergies renouvelables, ce qui permettra à l’OCP de baisser les coûts de son eau tout en contribuant à la transition énergétique par augmentation de la part des énergies renouvelables et donc, de baisser l’empreinte carbone des productions de l’OCP et de l’ensemble du pays.

– Une grande part de l’ammoniac utilisé dans la fabrication des engrais ne sera plus importée mais produite localement, ce qui devrait localiser la valeur ajoutée de la production d’ammoniac (avec les emplois et l’impact favorable sur le PIB que cela suppose) mais aussi contribuer à baisser les besoins en devises y afférant.

– L’ammoniac produit localement utilisera de “l’hydrogène vert”, c’est-à-dire celui que l’on obtient par électrolyse de l’eau alimentée par des énergies renouvelables (ici, solaire ou éolien), ce qui contribuera aussi à la transition énergétique en augmentant la part d’énergies renouvelables et donc, de baisser l’empreinte carbone des productions de l’OCP et de l’ensemble du pays. Il n’est pas encore certain que cette opération permettra à l’OCP de baisser les coûts moyens de son ammoniac car son prix a fortement varié ces dernières années, mais il est vrai que l’ammoniac n’est que l’un des coûts des intrants pour la production d’engrais.

Quelle est votre lecture des grandes lignes de ce programme ?

Efficacité énergétique:

L’OCP s’était déjà distinguée par une énorme opération combinant efficacité énergétique (économie de séchage après criblage et lavage) et économie d’eau (économie sur le procédé de lavage et réhydratation) par le passage au “slurry pipeline”, dans lequel le transport du phosphate vers les sites de traitement chimique du minerai ne se fait plus sous forme solide par train mais sous forme de boue dans un tube.

Eau:

En 2019, les besoins en eau du Groupe OCP au Maroc se sont élevés à 120 Mm³ dont:

– 83 Mm³ en eaux conventionnelles, soit 69% du total,

– 37 Mm³ en eaux non conventionnelles, soit 31% du total dont:

* 25,5 Mm³ étaient fournis aux usines de Jorf Lasfar par une station de dessalement d’eau de mer (déjà devenus 40 Mm³ en 2022),

* 5 Mm³ sont GWh fournis aux usines de Khouribga par une station de traitement et de réutilisation des eaux usées de la ville de Khouribga et il est prévu d’en faire une extension à 24 Mm³ dans le nouveau plan d’investissement de l’OCP présenté à Sa Majesté.

A ceci, devrait s’ajouter une extension à la station de dessalement d’eau de mer de Jorf Lasfar qui devrait passer à 170 Mm³ en 2024 puis à 300 Mm³ en 2027 (au lieu de 40 Mm³ en 2022) et qui nécessiterait un cumul de 12 milliards de dirhams (MMDH).

Et, pour près de 2 MMDH et sur de près de 170 km:

– la construction d’un pipeline transportera de l’eau dessalée depuis Jorf Lasfar jusqu’à Khouribga.

– la construction d’une ligne de transmission électrique transportera de l’électricité renouvelable dans le sens contraire, depuis la future ferme solaire photovoltaïque (150 MWc en 2023 à 760 MWc en 2027) de Khouribga vers la station de dessalement de Jorf Lasfar, la ferme solaire nécessitera près de 7 MMDH. L’axe Gantour – Meskala – Safi ne sera pas en reste puisqu’une extension à la station de dessalement d’eau de mer de Safi.

Par ailleurs, pour près de 1.5 MMDH, et sur de près de 130 km:

– la construction d’un pipeline transportera de l’eau dessalée depuis Safi jusqu’à Benguerir (5 Mm³ en 2022, puis 50 Mm³ en 2023 et 200 Mm³ en 2027).

– la construction d’une ligne de transmission électrique transportera de l’électricité renouvelable dans le sens contraire, depuis les futures fermes solaires photovoltaïques (440 MWc en 2027) de Benguerir et Mzinda (Est de Youssoufia) vers la station de dessalement de Safi, la ferme solaire nécessitera près de 4 MMDH.

Tout ceci permettra, non seulement de ne plus faire appel aux eaux conventionnelles mais que les eaux non conventionnelles utilisées soient entièrement mobilisées en utilisant des énergies renouvelables.

Énergie:

En 2019, la totalité des achats d’électricité du Groupe OCP au Maroc (environ 1050 GWh), ne représentaient que 16% de ses besoins totaux en énergie et les 84% restants étaient couverts:

– par l’exploitation de la cogénération de chaleur et d’électricité alimentée par la chaleur industrielle (couvrant 32% des besoins en énergie).

– par des achats de combustibles : fuel (37%), gasoil (10%) et gaz naturel (5%).

Ce qui a été communiqué par le Groupe ou par la presse ne permet pas encore de savoir s’il est envisagé aussi de remplacer les achats de combustibles par de l’énergie renouvelable, il n’en va pas de même avec l’électricité.

En effet, en 2019, près de 86% des 4’200 GWh d’électricité consommée au Maroc par le Groupe OCP sont produits par des sources renouvelables:

– Environ 3’150 GWh, soit 75% des besoins en électricité sont générés par l’exploitation de la chaleur industrielle (spécifiquement, l’utilisation de la chaleur libérée par la production d’acide sulfurique nécessaire à la production d’engrais). L’OCP est le plus grand contributeur à l’injection d’excédents d’électricité produite dans le réseau électrique qui ont cumulé 265 GWh en 2019 et sont désignés par “Tiers Nationaux” dans les chiffres de l’ONEE-BE.

– Environ 400 GWh, soit 9.5% des besoins d’électricité sont achetés auprès de producteurs indépendants d’électricité renouvelable (éolienne). C’est d’ailleurs ce qui permet aux deux sites miniers de Gantour et Phosboucraa d’afficher déjà un bilan électrique à 100% en énergie renouvelable.

– le reliquat de l’électricité consommée, soit environ 650 GWh représentant 15.5% des besoins d’électricité, sont achetés auprès des fournisseurs d’électricité agissant sur les différents sites du Groupe (ONEE-BE ou autres distributeurs).

Ce dernier poste devra être entièrement transformé en énergie verte (éolienne ou solaire à l’horizon 2027). Si ces 650 GWh devaient être produits par de l’éolien, ils nécessiteraient environ 200 MW d’éoliennes ou bien encore 370 MWc de fermes solaires photovoltaïques : le besoin en investissement serait alors de l’ordre de 3 MMDH.

Même si ceci va fortement “verdir” la production de l’OCP, ce n’est qu’une petite partie des investissements énergétiques prévus !

Ammoniac et hydrogène “verts”:

L’ammoniac est utilisé dans la fabrication des engrais. Chaque molécule d’ammoniac (NH3) contient 3 atomes et peut être synthétisée en utilisant du dihydrogène (H2) dont la molécule contient 2 atomes d’hydrogène.

En effet, si la production d’engrais de l’OCP s’est démultipliée, c’est grâce à une importation d’ammoniac (NH3), entrant dans les procédés de valorisation du minerai de phosphate, et qui est passée de 0,75 million de tonnes en 2012 à 1,75 millions de tonnes entre 2019 et 2021.

Le prix unitaire de l’ammoniac est lui-même très sensible aux crises énergétiques puisqu’il a fait des montées brutales en 2008 et en 2021 (hors des ces périodes, le prix actuel tourne autour de 4 Dh le kg).

Puisque le groupe OCP est le premier importateur mondial d’ammoniac qui est un intrant incontournable pour la production d’engrais, une partie très importante du nouveau plan d’investissement de l’OCP présenté à Sa Majesté se situera autour de Tarfaya qui verra la production d’ammoniac vert.

Les engrais ne faisant pas appel aux énergies fossiles sont estampillés “engrais verts” et ont, pour l’instant, une meilleure cote sur le marché.

Pour ce faire, l’OCP prévoit de produire un million de tonnes d’ammoniac vert en 2027 et 3.2 millions de tonnes à l’horizon 2032. A cet effet, il est prévu :

– de construire, au Sud Ouest de Tarfaya :

* Une station de production d’eau de mer dessalée (de 60 Mm³ par an, mobilisant un investissement de 2.4 MMDH) qui alimentera une usine de production d’hydrogène “vert” produit par électrolyse qui, elle-même, alimentera un complexe industriel produisant 1 million de tonnes par an d’ammoniac “vert”,

* Un quai portuaire,

– pour assurer l’alimentation en énergies renouvelables de l’ensemble, de construire à l’Est de Tarfaya :

* une ferme solaire photovoltaïque de 1,2 GWc qui produirait 2’100 GWh par an en mobilisant un investissement de 10 MMDH,

* un parc éolien de 2,6 GW qui produirait 9’100 GWh par an en mobilisant un investissement de 40 MMDH.

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