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Digitalisation du petit commerce: 4 questions à l’expert Smail Ouiddad

Le professeur universitaire à l’École nationale de commerce et de gestion (ENCG) de Settat et expert-consultant, Smail Ouiddad, revient dans une interview accordée à la MAP, sur les opportunités qu’offre la digitalisation aux petits commerçants, les enjeux de la digitalisation, les acteurs impliqués ainsi que la structuration qui s’impose dans le marché à l’avenir.

1- Quelles sont les opportunités et la valeur ajoutée qu’offrent la transition digitale pour les commerçants, particulièrement les petits commerçants ?

Concernant les opportunités et la valeur ajoutée qu’offre la transition digitale pour les petits commerçants, nous pouvons les situer en deux niveaux, à savoir en amont et en aval.

En amont, l’opportunité offerte est de pouvoir passer d’un mode d’approvisionnement traditionnel, basé sur des valeurs de proximité, vers un modèle moderne, où les potentialités du digital puissent le rendre comme source d’approvisionnement plus performante pour certains produits, voire, à terme, pour tous les produits.

Dans ce sens, les nouveaux acteurs du marché qui présentent de nouvelles solutions de digitalisation du commerce de détail offrent des solutions fort intéressantes, qui sont à même de rivaliser avec l’offre des fournisseurs traditionnels.

En aval, les solutions digitales offrent d’innombrables opportunités qui facilitent la vente et l’acheminement du produit vers le consommateur final; en passant de l’identification du produit par le client final, de son repérage, vers la livraison du produit à domicile, en passant par la consultation de l’information relative au produit ainsi que la comparaison des prix.

Cette configuration se présente comme la solution idéale pour le client final, puisqu’elle lui permet d’être gagnant à tous les niveaux (le temps, l’énergie, l’économie dans les charges liées aux déplacements).

A tout cela, s’ajoute la possibilité de profiter des promotions et des avantages produits en temps opportun. Cela pourrait favoriser la fidélité du consommateur final à ces solutions qui créeraient sans doute une opportunité business en croissance continue pour l’ensemble des acteurs du marché.

2- Quels sont les acteurs qui contribuent à la digitalisation du petit commerce ?

Les acteurs qui contribuent à la digitalisation du petit commerce sont de plusieurs natures: entreprises, organisations, associations, acteurs publics et organismes de support (qui offrent notamment formation et accompagnement).

C’est alors l’ensemble des acteurs du marché qui investissent dans l’amélioration ou le développement de la culture, la technologie et les structures du marché de la vente du détail en vue de créer une valeur ajoutée palpable, basée sur les potentialités du Digital, pour l’ensemble des parties prenantes.

Dans ce sens, on peut citer:

– Les départements ministériels qui se proposent de structurer le marché, tout en offrant des mécanismes de facilitation, de support et d’accès rapide au marché;

– Les structures d’incubation, d’accompagnement, et de recherche & développement qui soutiennent les acteurs du marché, surtout les acteurs naissants;

– Les grandes entreprises de production et/ou de distribution qui digitalisent une partie de leur processus de distribution pour l’adapter aux nouvelles exigences du marché, et qui visent principalement les détaillants traditionnels;

– Les grandes entreprises de revente en détail (moderne), comme les grandes surfaces, ou les sociétés de négoce, qui visent le client final par des applications mobiles qui offrent la livraison à domicile des produits de la grande consommation (FMCG);

– Les entreprises qui offrent des plateformes logistiques de support à l’activité d’acheminement des produits de grande consommation;

– Les startups technologiques internationales, qui se sont proliférées au lendemain de la crise du covid-19, qui apportent une offre de valeur purement technologique, et qui investissent dans le développement technologique et l’exploitation de la Data au niveau international;

– Les nouvelles startups spécialisées dans la digitalisation de la vente en détail, qui apportent une valeur ajoutée technologique et logistique, et qui visent les détaillants traditionnels principalement. Il s’agit aussi bien de startups locales que internationales;

– Les sociétés de distribution moyennes ou petites, qui tablent sur le Digital pour réussir leur croissance;

– Les associations de commerçants.

A cela s’ajoutent aussi des Fonds d’investissement qui croient dans les potentialités de développement de ce secteur à terme.

Tous ces acteurs devraient trouver des moyens de collaboration pour créer un vrai écosystème et concevoir un réel projet commun.

3- Quels sont, selon vous, les enjeux et les perspectives de la digitalisation du petit commerce ?

La digitalisation du petit commerce nécessite tout d’abord d’accepter le changement dans la culture du travail, et d’accepter de passer du modèle de commerce traditionnel vers un modèle plutôt moderne. Le changement doit être incrémental, et on doit s’attendre à ce que son acceptation prenne un peu de temps.

Par ailleurs, le petit commerçant de proximité est actuellement dans une zone de confort, et c’est une situation qu’il conserve précieusement. En effet le type de relation qu’il entretient avec ses fournisseurs traditionnels fait qu’il soit habitué à des modes de facturation, de paiement et de règlement qui, au regard de ses marges qui restent minimes pour la majorité des cas, l’arrangent parfaitement et lui garantissent la continuité de son exploitation.

L’instauration de nouveaux processus de gestion de la relation fournisseur, et de gestion de la relation client risquent de revisiter le business modèle d’un certain nombre de petits commerçants.

Aussi, selon une étude menée par le cabinet EKEM MARKET INTELLIGENCE sur un échantillon de 142 épiciers à Casablanca, 63% des épiciers pensent que les applications mobiles pour la prise de commande en ligne sont intéressantes, et 88% ont au moins une fois essayé les services des nouveaux partenaires de prise de commande en ligne ou par téléphone, ce qui démontre que l’acceptation est généralement présente.

Toutefois, la confiance joue un rôle important dans la réussite de l’adoption de ces solutions par les épiciers d’une façon permanente.

Malgré le nombre important de nouveaux acteurs qui offrent des solutions digitales, certains épiciers n’arrivent toujours pas à se projeter totalement dans le futur avec de telles solutions, du moins pour l’instant. Cela étant dû essentiellement à l’identité de ces nouveaux partenaires, qui sont pour la majorité des cas de nouveaux arrivants et non des acteurs établis sur le marché.

En dehors des acteurs établis de la place, les nouveaux acteurs du marché doivent mieux communiquer sur leur identité, et présenter des gages de confiance à moyen et long terme, pour que les épiciers puissent adopter les solutions qu’ils proposent.

Un autre enjeu important, c’est l’économie des coûts. Pour réussir une introduction dans le marché, certains nouveaux partenaires digitaux offrent les mêmes produits que les fournisseurs traditionnels proposent, mais à moindre coût.

Tout en sachant qu’ils en assurent la logistique au complet et gèrent les retours, ces nouveaux partenaires digitaux sont dans la majorité des cas des revendeurs ou des distributeurs, ce qui pousse à s’interroger sur la vraie économie des coûts qui aurait réellement permis cette baisse de prix.

Il est évident que tout lancement de nouvelle activité nécessite des investissements de départ, qui s’accompagnent aussi de prix de lancement attractifs, mais quid de la rentabilité réelle de ces partenaires à moyen terme, et du vrai business modèle de ces entreprises?

Par ailleurs, certains nouveaux acteurs digitaux se contentent uniquement de la digitalisation de la distribution, ce qui constitue une limite en soi.

Je n’ai pas d’idée claire sur la stratégie de ces entreprises, mais si l’activité digitale ne s’accompagne pas d’une vraie économie de l’information basée sur l’exploitation de la Data, avec toutes les potentialités que cela pourrait offrir comme opportunités business, personnellement, je vois mal la floraison de cet écosystème à moyen terme, surtout dans le cas de la multiplication des intermédiaires et ses revendeurs digitaux, devant des marges bénéficiaires qui se resserrent davantage.

Un dernier enjeu qui se présente est celui du développement durable. Il va falloir que les acteurs du marché trouvent un moyen pour consommer d’une manière plus durable et plus écologique, tout en réussissant la transition digitale (habitudes, compréhension, logistique, etc.).

4- Avec la digitalisation du secteur du commerce, à quelle structuration du marché faut-il s’attendre dans l’avenir ?

Le paysage du marché est en train de se redessiner, et je pense que la volonté est bien présente. Toutefois, le degré d’adoption de la technologie, et le taux de réussite  de transformation digitale au sein des entreprises opérantes déterminera le paysage futur de ce marché.

Dans un futur proche, la venue des nouveaux partenaires digitaux est susceptible de mieux organiser le secteur.

Un autre point lié à la meilleure organisation du secteur, c’est l’amélioration de l’identification et de la connaissance des petits commerçants, ce qui pourrait les inciter à honorer leurs obligations fiscales et améliorer leur participation citoyenne. Avec les nouvelles potentialités digitales, les petits commerçants seront certainement invités à mieux performer, à être proactifs et à innover dans leur démarche commerciale.

Un autre point, c’est que dans l’avenir, on s’attend à une meilleure entremise des acteurs du paiement en ligne. En effet, la partie du paiement doit être bien pensée, sinon cela donnera lieu à une non inclusion des acteurs, et seul un segment restreint de client pourra adopter ce type de solutions.

Le client final a besoin de plusieurs moyens de paiement, puisque la limitation des des moyens de paiement peut constituer un frein au développement des solutions de digitalisation du commerce de détail. Les acteurs du cash on delivery (COD) pourraient aussi trouver un moyen pour intégrer ce marché et apporteront certainement leur touche personnelle au paysage sectoriel général.

Un autre scénario très probable, c’est l’implantation dans le marché marocain de nouveaux acteurs internationaux qui opèrent selon une échelle régionale ou multi-locale, à l’instar de ce qui se fait par certains acteurs marocains qui entament d’ors et déjà leur implantation dans certains pays africains, voire dans la région MENA.

Cela se traduira inéluctablement par une concurrence acharnée, voire même par des logiques d’intégration horizontale ou verticale qui résulteraient directement ou indirectement de la concurrence des nouveaux entrants potentiels.

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